Laurent Wauquiez : “Non, je ne suis pas sectaire”

Laurent Wauquiez, candidat Les Républicains à la Région Auvergne Rhône-Alpes, le sait : les décideurs économiques considèrent traditionnellement avec grande méfiance le cénacle politique. Il sait aussi que cette cohorte d'électeurs est clé, car son influence ramifie, lors du scrutin, bien au-delà de ses seuls bulletins de vote. il sait, enfin, qu'en cas de victoire son action sera particulièrement auscultée par ces patrons et que chacun de ses engagements non exaucé participera à disqualifier sa stratégie de conquête nationale. Son projet pour Auvergne Rhône-Alpes, sa personnalité et son style, son discours et ses promesses peuvent séduire. Suffisent-ils pour autant à le crédibiliser au sein de l'aréopage décisionnel ?

Acteurs de l'économie-La Tribune : « Quel dommage que Michel Barnier ne soit pas le candidat des Républicains ». Voilà, en substance, ce que considéraient une grande partie des décideurs économiques. Un Barnier plébiscité pour sa disponibilité pour le projet, la richesse de ses réseaux au sein des institutions européennes, sa compatibilité avec l'exécutif régional et les métropoles socialistes, un profil et un tempérament tournés vers la coopération transpartisane. Pour quelles raisons avez-vous fait obstacle à sa désignation et vous considérez-vous « meilleur » candidat ?

Laurent Wauquiez : Je ne regarde pas dans le rétroviseur et suis tout entier tourné vers demain. Ma désignation résulte d'un choix ultra majoritaire au sein de ma famille politique, motivé par la volonté d'un renouvellement et d'une nouvelle génération. D'autre part, mon expérience d'élu de terrain et le bilan concret de mon action au Puy-en-Velay permettent de juger mes facultés sur des faits. Ces arguments ont abouti à ma désignation, qui ne constitue pas une remise en question des qualités de Michel Barnier.

Votre candidature régionale constitue une étape supplémentaire dans l'accomplissement d'un destin national. Certes vous avez affirmé qu'en cas de victoire des Républicains en 2017 vous déclinerez toute responsabilité ministérielle. Mais cet engagement vaut-il pour toute la durée du mandat présidentiel ? Et qui peut croire que vous l'honorerez si un portefeuille régalien et a fortiori Matignon vous sont proposés ?

« Vient-il vraiment pour s'occuper de la région ou n'est-il que de passage ? » Cette question, que se posent des électeurs, je veux lui apporter une réponse claire. J'ai fait le choix, en cas de victoire, d'abandonner mon mandat de maire et de me consacrer pleinement à la Région et à l'Assemblée nationale. Cet engagement, mûrement réfléchi, n'est pas compatible avec une responsabilité ministérielle. Et je m'y tiendrai. Je viens pour m'occuper de notre région et construire sa réussite avec les acteurs économiques. Ces derniers doivent en être convaincus. Et puis j'ai été ministre à plusieurs reprises, j'en connais les plaisirs et les limites.

Laurent Wauquiez

Lorsque j'ai conquis mon premier mandat au Puy-en-Velay, les électeurs se sont posé ces mêmes interrogations sur la longévité de mon engagement. J'ai démontré que j'étais un élu politique fidèle, et d'ailleurs seul le temps long de la persévérance a permis de revitaliser la démographie, de réduire les impôts, de conquérir de nouvelles entreprises, de mettre la priorité sur des secteurs - luxe, centres d'appels, pharmacie, etc. - créateurs d'emplois. Je ne demande pas à être jugé sur les discours mais sur mes actes.

Dans un contexte de grave déficit de confiance de l'opinion publique et notamment des décideurs économiques et chefs d'entreprise à l'égard des élus, on ne peut espérer revitaliser le lien que dans le sillage d'une génération capable de faire plus qu'elle ne promet de produire des résultats concrets. Je veux prouver que l'on peut baisser la dépense publique. Je veux démontrer que l'on peut miser sur l'esprit d'entreprendre et d'initiative. Je veux tordre le cou à la double fatalité d'inflation des dépenses de fonctionnement administratif et de réduction drastique des dépenses d'investissement. Et cela, c'est-à-dire ce que j'ai mis en œuvre pendant neuf ans au Puy-en-Velay, je veux l'appliquer au périmètre de la région. C'est parfaitement possible si l'on en juge ses trésors et son formidable potentiel de développement.. Seul le terrain fait preuve de ce que l'on vaut, et cette règle a toujours façonné ma structuration d'esprit et de pensée.

La fonction de président de Région, particulièrement lorsqu'il faut orchestrer le mariage de deux territoires et institutions, constitue un temps plein. Comment pouvez-vous raisonnablement affirmer qu'à 18 mois du scrutin présidentiel de 2017 en faveur duquel vous serez fortement mobilisé, vous serez un président de région totalement investi ?

L'une des différences majeures entre Jean-Jack Queyranne et Gérard Collomb, pour le travail duquel, notamment dans le domaine économique, j'ai de l'estime, est que ce dernier est aussi sénateur. Cette responsabilité nationale l'équipe d'atouts majeurs lorsqu'il doit défendre l'intérêt de son territoire à Paris. Mon mandat de député et le poids politique que j'ai seront, dans le même esprit, tout entier au service de la région.

Dans une terre lyonnaise historiquement « de droite », l'édile socialiste s'est imposé depuis 2001 jusqu'à étouffer toute opposition crédible et être réélu très confortablement en 2008 puis en 2014 à contre-courant du « raz-de-marée » UMP. Cette démonstration tient notamment à cette politique économique reconnue dans les milieux décisionnels et à laquelle vous souscrivez donc...

Nous avons des différences, mais sur Lyon je reconnais la capacité qu'il a eue à faire travailler ensemble les acteurs économiques au service de la vitalité lyonnaise. Gérard Collomb a ainsi su mobiliser des acteurs des domaines politique, économique, entrepreneurial, industriel, universitaire de tous bords pour créer une dynamique de collaboration ; j'aime cet état d'esprit, et je veux l'appliquer au territoire régional.

Vous considérez-vous donc parfaitement « Collomb compatible » ?

Je n'ai aucun doute sur notre volonté et notre capacité communes de collaborer, et d'ailleurs lui-même a toujours martelé qu'il travaillait avec tous les élus du suffrage universel. Je partage le même état d'esprit, comme j'en ai fait la démonstration dans le territoire ponot. Et de plus je déteste les guéguerres de baronnies. J'ai des convictions, mais je respecte les opinions différentes des miennes.

Mais le scepticisme des décideurs économiques à votre endroit tient justement à un style et à une rhétorique clivants et stigmatisants qu'ils jugent contraires au principe, clé, de coopération supra-partisane...

« Laurent Wauquiez a de fortes convictions, seront-elles un frein pour rassembler ? », s'interrogeaient là encore certains chefs d'entreprise. Ils ont raison d'exiger de leurs élus de reléguer différences et rivalités politiques au profit de la coopération. Si je sors vainqueur du scrutin, je serai fidèle à cet état d'esprit. J'observe par ailleurs que c'est aujourd'hui Jean-Jack Queyranne qui est incapable de rassembler la gauche alors que de mon côté, j'ai réussi à construire autour de moi l'union de la droite et le centre.

Laurent Wauquiez

Le futur président d'Auvergne Rhône-Alpes aura la lourde responsabilité d'harmoniser la logique régionale avec celle, dominante, de métropolisation, car c'est de la cohérence des compétences et de la fluidité des coopérations inter-institutionnelles que dépendra son bilan en matière économique. Comment la concevez-vous ?

Beaucoup redoutent cette situation, mais je ne la crains pas. Que la métropole de Lyon se développe est un formidable atout pour la région. Et j'ai moi aussi une bonne nouvelle pour la métropole : la région elle-même va retrouver du souffle ! Nos concitoyens sont lassés par les réflexes de barons locaux qui s'accrochent à leur parcelle de pouvoir. Pour ma part, et comme je l'ai toujours fait, je souhaite rassembler, fédérer et additionner les énergies plutôt qu'attiser les concurrences. Asphyxier le voisin pour mieux briller personnellement est une vieille habitude politique. Ca n'est pas ma façon de faire. Pour moi, quand il y a du dynamisme, cela tire tout le monde vers le haut.

Ce que votre « style », des proches ou une presse qui ne vous ménage pas révèlent, c'est une personnalité qui peut être résumée à une « bête politique », un ambitieux « prêt à tout », un disciple du sulfureux Patrick Buisson et d'une idéologie parfois radicale, un brillant intellectuel dont les prises de position ostracisent et divisent. En matière de communication politique, se singulariser fait partie des conditions essentielles pour « exister ». Quelles parts de ce tableau correspondent respectivement à la réalité de votre personne et aux injonctions du « jeu » politique ?

Mais le milieu économique ne peut pas à la fois reprocher - avec raison - aux élus politiques d'être insuffisamment offensifs et entreprenants, et déplorer l'audace et les convictions lorsqu'ils en ont ! Veulent-ils l'eau tiède ? Je sais que non, car en leur qualité de patrons ils savent que rien n'est plus délétère que le manque de courage et de convictions. Croire en des principes fondamentaux et les partager publiquement ne signifie nullement être incapable de collaborer lorsque viennent ou s'imposent l'opportunité et la nécessité de coopérer dans l'intérêt général. Et aujourd'hui, la personnalité qui divise, c'est Jean-Jack Queyranne, qui est incapable de fédérer son propre camp.

Oui je pense et donc je dis qu'on est en train de tuer la France qui travaille, que les prestations sociales ne doivent pas servir l'assistanat, que le champ du social ne fonctionne que par le retour au travail, qu'il faut mettre un frein aux excès de la dépense publique, et qu'il faut être intransigeant en matière d'éthique. Mais ces convictions ne m'empêchent nullement de respecter celles des autres, d'écouter la différence ou de rechercher la complémentarité des voies. Lorsque j'ai été ministre, n'ai-je pas travaillé main dans la main avec les chefs d'entreprise et les élus de tous bords, y compris lorsqu'il s'est agi de sauver la Vallée de l'Arve ? Et au Puy, le développement économique que nous conduisons depuis une dizaine d'années aurait-il vu le jour si je n'avais pas collaboré avec toutes les parties prenantes quelles que soient leurs obédiences ? Je ne suis pas sectaire. Et il est vrai que je déteste les personnalités inodores, sans saveur et sans colonne vertébrale.

La meilleure façon d'évaluer ma capacité à rassembler est ce que je montre en cette rentrée. « Saura-t-il fédérer la droite et le centre ? », se demandait-on. Auvergne Rhône-Alpes est la première des régions de France à avoir réuni l'UDI, le Modem et les Républicains. Et dans le même temps, que fait le Président de région actuel ? Il est incapable de s'accorder avec les écologistes, il subit les foudres du Front de gauche, et ses relations avec la Ville et la Métropole de Lyon sont glacées. Là encore, ma réponse n'est pas dans les discours mais dans les actes.

Laurent Wauquiez

Mais quelles sont l'authenticité et la fiabilité de votre accord avec des formations politiques dont les dirigeants nationaux vous ont traité ces derniers mois de « crypto-lepéniste, incarnation d'une droitisation extrême » et vous ont jugé « incompatible avec [nos] leurs valeurs » ? La volteface de l'UDI puis celle (toujours précaire) du Modem en votre faveur n'empoisonnent-elles pas plutôt un peu plus la crédibilité de la « chose politique » au sein de la population ? La conquête d'une élection justifie-t-elle toutes les formes de duplicité, et l'homme droit et intègre que vous considérez être peut-il souscrire à de tels reniements intellectuels et moraux ?

Au fond, cet accord montre une chose : loin des caricatures, je suis capable de fédérer. Nous avons su mettre de côté toutes les postures du « cinéma politique parisien », et sommes parvenus à nous réunir sur un programme que nous partageons et voulons accomplir ensemble. Cet accord n'a contraint personne à renoncer à ses convictions et à ses valeurs - et d'ailleurs, cela je n'en aurais pas voulu - ; il est riche de toutes celles que chaque partie prenante a apportées. Et pour cela, j'ai tendu la main, respecté les autres, intégré les différences. Et donc fait, là encore, la preuve de ma capacité à rassembler. Voilà la seule réalité qui vaille.

Mais peut-on vraiment être un acteur politique diviseur dans le débat national et fédérateur dans sa région ? Cette posture naturelle ou cette stratégie schizophréniques sont-elles tenables ?

Il n'existe aucune discontinuité entre mes convictions ou mes actes nationaux et locaux. Ce que je pense « bon pour la France », je veux le mettre en œuvre dans la région. Prenons des cas concrets. Quand la Région finance la formation professionnelle, elle arbitre sans lien véritable avec les milieux économiques et cherche davantage à occuper les gens qu'à satisfaire des secteurs en mal de demande. Exemple ? Le nombre de formations de soudeur décline alors qu'on manque de cette main-d'œuvre ! L'avenir de la filière numérique est potentiellement considérable, les attentes des entreprises - y compris industrielles - concernées par les objets connectés ou les débouchés internet sont élevées en terme d'emploi, mais tout ça pâtit d'un déficit criant d'ambition politique au niveau régional. Voilà à quoi je veux mettre fin. Et cela, au Puy-en-Velay, en Rhône-Alpes Auvergne comme en France. Or si mon expérience de ministre m'a appris qu'à l'échelon national les inerties dominent, j'ai l'absolue certitude qu'au niveau régional la marge de manœuvre est réelle. C'est à partir des territoires que l'on peut faire bouger l'Hexagone, et cette stratégie implique d'être cohérent dans ses déclarations et ses actes.

Le ralliement officiel des instances centristes et des Républicains est une chose, mais la réalité des urnes et du secret de l'isoloir en est une autre : comment pensez-vous convaincre les électeurs naturellement acquis à la droite mais rétifs à votre candidature ?

Le chemin parcouru témoigne du bienfondé de ma candidature. Le différend avec Michel Barnier est derrière nous, la droite est rassemblée autour d'une UDI et d'un Modem qui il y a quelques mois ne souhaitaient pas l'alliance, les milieux économiques qui s'interrogeaient sur mes compétences « locales » ont découvert mon bilan au Puy. Enfin, le fait qu'un élu qui a déjà exercé des responsabilités nationales fasse le choix de se consacrer pleinement à la région a levé les derniers doutes.

Vous êtes un député-maire du Puy-en-Velay plébiscité par ses électeurs (69,78 % des voix dès le premier tour en 2014), mais aussi lié à une icône locale, Jacques Barrot, par une douloureuse histoire. « Jacques Barrot l'a fait, lui a tout donné, et lui s'en est affranchi dès qu'il ne lui a plus servi », pourrait-on résumer cette relation telle que l'ancien commissaire européen et ses proches l'ont eux-mêmes relatée. Les conditions de ce divorce reflètent-elles, comme l'affirment vos détracteurs, une partie de votre personnalité ?

Jamais je n'ai prononcé et ne prononcerai la moindre parole malheureuse contre Jacques. Je respecte foncièrement le parcours d'un homme engagé, il a énormément entrepris au profit de la Haute-Loire, et sans lui je n'occuperais pas de telles responsabilités. Ce qui progressivement a distendu nos relations est vieux comme le monde : une génération voit grandir et passe le témoin à une autre génération impétueuse, impatiente, ambitieuse, et ainsi des tensions peuvent surgir. Ces conflits intergénérationnels, qui s'inscrivent dans des relations humaines où se mêlent passions, regrets, remords, joies et incompréhensions, ne sont pas propres à la politique, et d'ailleurs les transmissions d'entreprise en sont souvent le théâtre.
Par ailleurs, Jacques incarnait l'époque d'une France prospère, d'avant la crise, capable de distribuer abondamment les ressources, et convaincue des vertus d'un grand fédéralisme européen avec 28 états membres.

La génération aujourd'hui aux commandes doit composer avec un contexte tout autre : une dynamique économique dans l'impasse, un modèle social éreinté, une Europe qui doit être réinventée. Elle sait que sortir le pays de la ruine exige de secouer les habitudes, réinventer ce qui est acquis, repenser les caps, et pour cela d'autres moyens que la poursuite imperturbable dans une seule et même direction doivent être employés. Au fond, nos trajectoires sont aussi le fruit d'une époque et d'une génération. Et cette évolution de notre société, qui se traduit par la nécessité de s'adapter en permanence, de se remettre en question chaque jour, je sais que les chefs d'entreprises la comprennent car ils la vivent au quotidien.

La campagne puis votre politique régionales si vous êtes élu auront-elles pour vocation de servir la campagne puis la politique nationales d'ici et après 2017 ? L'avenir d'Auvergne - Rhône-Alpes pourrait-il être l'otage de votre ambition et de vos intérêts nationaux ?

Bien au contraire ! J'ai fait le choix d'interrompre la « course-poursuite effrénée à l'ambition » qui finit par tuer la politique française. Je veux prendre le temps de démontrer que la politique n'est pas condamnée à l'inaboutissement et à l'échec. Et ce temps, c'est à la région que je veux le consacrer. Le divorce entre les Français et la politique est tel que je ne me donne aucun droit d'échouer. Je sais qu'au niveau national nous avons parfois déçu, non sur nos idées mais sur notre incapacité à les mettre en œuvre.

De plus, l'absence de résultats dans ma région me disqualifierait pour la suite de ma carrière politique. Je me place volontairement dos au mur, comme le font les chefs d'entreprise jugés sur les résultats de leur activité. Parviendrai-je à redresser le niveau de l'investissement, à réduire les dépenses de fonctionnement, à coopérer étroitement avec le milieu économique ? On me jugera sur pièces.

Puisque vous vous présentez à cette élection, il faut donc en déduire qu'au contraire de votre président Nicolas Sarkozy vous souscrivez à la nouvelle cartographie régionale et plus largement à la réforme territoriale élaborées par le pouvoir socialiste...

Je suis un esprit indépendant. J'ai la plus grande estime pour Nicolas Sarkozy, mais je ne suis pas d'accord avec lui sur ce point. Notre région sera la plus dynamique de France et cela, ça a du sens.  Certes, sa taille et sa diversité sont considérables, mais cette région est forte, et elle sera même la première véritable région de France. Son premier atout, qui la distingue par exemple de l'Aquitaine ou de Midi-Pyrénées phagocytées par une agglomération ultradominante - Bordeaux et Toulouse -, c'est que d'Annecy à Clermont-Ferrand, de Grenoble à Saint-Etienne, de Lyon à Vichy, de Valence à Bourg-en-Bresse, on retrouve « partout » de la « substance » humaine, économique, entrepreneuriale qui embrasse un même souffle.

Certes, mais Rhône-Alpes est aussi et avant tout une région artificielle, sans identité, morcelée, fortement hétérogène aux plans culturel, économique, politique. Et d'ailleurs l'Auvergne souffre d'un syndrome comparable. Comment pensez-vous amalgamer deux territoires hétéroclites désormais étendus sur plus de 500 km d'Aurillac à Evian, et former un ensemble sinon homogène au moins cohérent ?

Ce que partage l'ensemble du territoire, c'est une même culture du travail et de l'initiative. Et c'est fondamental, car de ce postulat on peut développer la « marque » de l'économie et de l'entreprise qui transcende les différences et déverrouille les cloisonnements. Auvergne Rhône-Alpes doit devenir la Bavière, la Lombardie, la Catalogne françaises, c'est-à-dire un territoire distingué pour son leadership entrepreneurial. Voilà l'ADN de la région, voilà ce qui fait commun aux filières aéronautique d'Issoire, agroalimentaire du Cantal, touristique des Savoies ou de l'Ardèche, biotechnologique de Grenoble, plasturgique de l'Ain, aux centres de recherche de Michelin, Limagrain, Somfy ou SEB, aux grandes ETI lyonnaises et aux PME-TPE de la Drôme ou de l'Allier.

Laurent Wauquiez

Les maires peuvent « vivre passionnément » le territoire qu'ils administrent, parce qu'il est raisonnablement étendu et cohérent et parce que leur action y est concrète et visible. N'est-ce pas un leurre à l'échelle d'une telle région ?

Rien n'est pire que le cynisme, rien n'est plus déplorable que d'être las, indifférent ou insensible et de lorgner une haute responsabilité politique par confort ou opportunisme. Je suis réellement passionné par ce territoire. Je suis né à Lyon, mon père était engagé dans la région lyonnaise, ma mère a travaillé dans la Loire, ma famille vit au Puy, et je suis élu dans une Haute-Loire qui est à la jonction de l'Auvergne et de Rhône-Alpes. J'aime le combat de l'Auvergne pour faire face au déclin, j'aime l'énergie des Lyonnais, j'aime la fierté des (hauts) Savoyards, j'aime la vision des montagnards, j'aime l'esprit de conquête des équipementiers de l'Ain ou des agriculteurs du Cantal, j'aime la générosité des grands capitaines d'industrie et leur détermination à offrir au territoire autant qu'ils ont reçu de lui... Cette région a envie et donne envie à ceux qui, comme moi, la « vivent » au fond d'eux-mêmes.

Le premier dessein du redécoupage administratif vise la plus grande efficacité des institutions et de substantielles économies de fonctionnement. N'est-ce pas une chimère - l'actuel président d'Auvergne René Souchon a lui-même concédé dans nos colonnes qu'il n'y en aurait pas avant une dizaine d'années ? Quel objectif fixez-vous à l'assainissement des finances (le budget de l'ensemble sera d'environ 3 milliards d'euros) ?

Le discours de René Souchon est intolérable, il est même profondément humiliant - y compris pour les fonctionnaires du Conseil Régional. Au nom de quoi l'institution régionale serait-elle incapable de produire les mêmes efforts qui sont imposés à l'ensemble des Français ? Ces économies, qui légitiment la fusion des régions, c'est dès le lendemain de l'élection qu'elles devront être traquées. Et si je suis élu elles feront l'objet d'une traçabilité ; chaque année, à partir d'indicateurs indiscutables et d'outils précis, je rendrai compte du niveau de dépenses de fonctionnement et d'investissement, mais aussi de l'avancée concrète des chantiers prioritaires (apprentissage, TER, etc.). Par ailleurs, des acteurs du secteur privé seront invités à nous accompagner bénévolement dans ce changement de méthode ; une demi-journée par mois, ils commenteront ce que nous entreprenons. Enfin, qu'on ne nous dise pas que le déploiement des synergies ne génèrera pas mécaniquement d'économies ! Une direction des ressources humaines unique, la mise en commun des personnels de cabinet, la rationalisation des dépenses de communication... Jean-Jack Queyranne s'est entouré de cinquante collaborateurs dans son cabinet ; au secrétariat d'Etat à l'emploi, j'en avais une dizaine : tout est dit.

Que mettez-vous au débit et au crédit du bilan de Jean-Jack Queyranne ? Serez-vous « le président qui rompra » - au risque de briser ce qui a fonctionné - ou « celui qui corrigera » ?

La dette a quadruplé, les dépenses de fonctionnement ont bondi de 100 %, les impôts ont crû en début de mandat de plus de 25 %... Quant au gaspillage, existe-t-il plus symptomatique que le « dossier » Hôtel de région ? Un coût de construction pharaonique de 140 millions d'euros, un calibrage si mal estimé que des locaux ont dû être loués dans le quartier Confluence, et le site originel de Charbonnières n'a toujours pas trouvé preneur. Enfin, Jean-Jack Queyranne a transformé en mammouth une collectivité autrefois agile, réactive, fluide et légère - ce qui est dévalorisant pour le personnel lui-même. Bref, n'importe quel dirigeant d'entreprise privée qui gérerait de la sorte serait « viré » sur le champ ; mais comme il s'agit là d'argent public...
Quant au « crédit » de son bilan, je retiendrai les outils de développement des clusters, qui ont permis de renforcer ou de dynamiser des secteurs clés de l'économie régionale. Ces dispositifs seront conservés si je suis élu.

De l'aveu même des professionnels de la filière, d'importantes initiatives ont été menées sous l'actuelle mandature pour associer la Région aux outils de soutien financier aux entreprises (fonds régional d'innovation, fonds de garantie, fonds régional d'investissement, hub du financement) et substituer aux traditionnelles subventions des dispositifs vertueux de levier. Les poursuivrez-vous ?

Ils illustrent la performance des partenariats public - privé. Mais ils ne sont pas figés et peuvent encore être améliorés, afin notamment que l'accès des entreprises aux capitaux propres progresse. Les fonds d'investissement public - privé que les régions allemandes ou italiennes ont développés avec les partenaires industriels, bancaires et investisseurs, doivent être examinés de près et peut-être servir de modèle - y compris dans leur fonctionnement qui jugule tout risque de clientélisme électoral. C'est aussi de nature à vivifier une fierté, un patriotisme économiques régionaux auxquels je suis très sensible et que je veux promouvoir.

A ce titre, vous proposez un dispositif qui favorise l'accès des entreprises régionales aux marchés publics. Est-ce concrètement et légalement plausible ? Où situez-vous la ligne de démarcation entre patriotisme et nationalisme, entre préférence et protectionnisme ?

En Allemagne, les entreprises ne se posent même pas la question ! Quels autres sous-traitants que des entreprises de Bavière les grands donneurs d'ordre de Munich font-ils travailler ? En France nous avons trop peu ce raisonnement. Je veux en faire notre marque de fabrique et créer un esprit de meute. On peut l'encourager dans la région. Convaincre les décolleteurs de l'Arve de se fournir chez les plasticiens d'Oyonnax, sensibiliser les fleurons de l'agroalimentaire à solliciter des producteurs locaux d'emballage, n'a-t-il pas de sens ? « L'esprit d'équipe» doit s'imposer, car il rend plus fort collectivement et sert chaque intérêt individuel. Le dynamisme économique peut être contagieux, surtout lorsqu'il se nourrit de fierté.

Laurent Wauquiez

Sur le plan purement légal ma réponse est très claire : oui c'est parfaitement possible, et cela existe déjà, notamment en jouant sur les clauses sociales des marchés publics. La jurisprudence en la matière est limpide et permet cette préférence régionale. On peut d'ailleurs invoquer le cas de secteurs spécifiques comme l'agriculture, régi par un code des marchés publics qui dans sa version actuelle permet de privilégier les produits agricoles sur la base de leur origine géographique. C'est d'ailleurs ce que je fais au Puy : 95 % de la viande servie dans les cantines est issue de la Haute Loire.

Vos prises de position contre une formation écologiste qui a durement entravé la gouvernance de Jean-Jack Queyranne sont impitoyables. Le maire de Grenoble Eric Piolle, EELV-Parti de Gauche, est-il un « problème » pour la région économique et technologique que vous voulez promouvoir ?

Ceux qui se destinent à voter pour mon adversaire doivent le savoir : ce n'est pas un PS « façon Collomb » qu'ils vont soutenir, mais un PS prisonnier d'idéologues écologistes aussi bien que du Parti Communiste et du Front de gauche, qui lui dictent son programme et sont capables, comme au Center Parcs de Roybon, de faire obstacle à sa politique. Quel Queyranne faut-il croire ? Celui qui défendait ce projet générateur de milliers d'emplois ou celui qui, par simple calcul politique et contre l'avis de la fédération socialiste de l'Isère, a finalement fait volteface ?

Je suis un fervent défenseur du développement durable et des dispositifs d'accompagnement des entreprises dans ce domaine pourvoyeur de progrès technologique, d'économies d'énergie et d'emplois ; en revanche, je ne supporte pas la dictature doctrinaire, anti-économique, anti-entreprise et anti-progrès que tentent d'imposer les ayatollahs de l'écologie.

Si je suis élu, je m'occuperai particulièrement de la métropole grenobloise. Elle est un contributeur clé du développement économique de la région, et je ne laisserai pas des secteurs aussi majeurs que les nanotechnologies, le nucléaire, la recherche fondamentale, la santé ou l'enseignement supérieur être les victimes d'arbitrages idéologiques. Imagine-t-on les milliers d'emplois en jeu ? La réputation de l'agglomération à l'international ? L'avenir de fleurons comme le CEA ?

ERAI aura lourdement assombri le bilan de l'actuelle mandature. Pour autant, l'origine, les causes et les culpabilités du marasme sont complexes. Quel examen faites-vous de ce scandale ? Etait-il nécessaire, comme votre groupe politique s'y est employé, de le dynamiter définitivement ? Quel dispositif préconisez-vous ?

A l'origine, ERAI était une très belle ambition et un dispositif précieux pour les entreprises, conçu et inventé par Alain Mérieux. Il faisait même la fierté à l'étranger. Et puis la gabegie, le laxisme et des erreurs stratégiques l'ont tué. Comment huit millions d'euros de pertes ont-ils pu être camouflés ? Comment les dirigeants ont-ils pu impunément consommer 250 000 euros de frais de bouche et de représentation ? La Chambre régionale des comptes s'est penchée sur le dossier, et ensuite la justice devra être saisie : lumière doit être faite sur les responsabilités et sur la façon dont certains élus auraient pu interférer sur des embauches. Sur ces questions, je suis intransigeant. Les élus doivent s'imposer les efforts qu'ils demandent aux autres - je me toujours refusé à percevoir la prime offerte aux ancien ministres. Il faudra reconstruire un outil performant d'accompagnement des entreprises à l'export. Et pour cela, je m'emploierai à mettre tout le monde ensemble...

... Mais pourquoi seriez-vous celui qui réussira là où l'ensemble des dirigeants institutionnels et patronaux a échoué ? En effet, le dispositif d'aide à l'international est caractéristique des particularismes du tissu décisionnel : pléthorique, insuffisamment coordonné et lisible, et surtout otage d'âpres luttes de pouvoir - consulaires, métropolitaines, consultants privés -...

C'est vrai. Et c'est pourquoi je ferai du chantier de l'international l'un de mes premiers défis...

... Plus exactement, ce premier défi sera d'harmoniser l'ensemble des instances institutionnelles, publiques, consulaires et patronales concernées par l'ensemble de l'activité économique. Sacré challenge...

Effectivement. Chacun doit admettre que lorsque la métropole de Lyon se déploie à l'international, lorsque les chambres consulaires s'impliquent dans cette dynamique, ce n'est pas un problème pour la Région. Au contraire. Et lorsque le reste de la région progresse, Lyon en tire elle-même un profit. L'intérêt de chacun doit (se) servir (de) celui de tous les autres, et c'est à cette condition de réciprocité et de gains partagés que nous restaurerons des liens aujourd'hui distendus et revitaliserons l'esprit de solidarité et de coopération. Cette logique forme le socle de mon programme.

Laurent Wauquiez

L'aéroport Lyon Saint-Exupéry constitue un enjeu fondamental pour le territoire. Un aéroport à la fois riche d'un foncier unique en Europe et pauvre d'un rayonnement certes en progrès mais très en-deçà de son potentiel, en partie étranglé par le diktat d'Air France-KLM sur l'ouverture de nouvelles lignes. Le processus de privatisation est lancé. Quel rôle concret entendez-vous jouer et en faveur de quel schéma militerez-vous ? L'opportunité d'intégrer Genève Aéroport doit-elle être favorisée ? Quelle est la marge de manœuvre d'un président de région pour peser sur l'ouverture de nouvelles lignes, capitales pour l'avenir d'une telle infrastructure ?

Voilà des années qu'on accepte l'inacceptable, c'est-à-dire le diktat parisien. Au nom de quoi devrait-on continuer de devoir se rendre en TGV à l'aéroport Charles de Gaulle pour rallier New York ou Shanghai ? Pourquoi devrait-on se résigner à disposer d'une infrastructure aéroportuaire indigne de la dynamique et du potentiel de développement de notre région ? La situation de Saint-Exupéry est symptomatique du style et du bilan de la majorité actuelle : là où elle aurait du lutter, elle a baissé les bras.
En premier lieu, il faut combattre le double monopole d'Air France - KLM et de la direction de l'aviation civile française, par la faute duquel les possibilités d'ouverture de hub sont étranglées. Les milieux économiques lyonnais se sont remarquablement mobilisés pour dessiner un projet de développement ambitieux et réaliste. Ils y mettent deux conditions : figurer parmi les acteurs capitalistiques du projet, examiner avec bienveillance l'opportunité genevoise. Si je suis élu, qu'ils soient assurés que la Région pèsera de tout son influence pour réussir. A ce titre, que le président de la Région dispose d'un vrai poids politique national, des moyens et des réseaux pour défendre à Paris des chantiers locaux aussi sensibles, est un atout.

« Le nain peut apporter beaucoup au géant », confiait récemment dans ces colonnes le directeur Auvergne de la Banque de France. L'Auvergne ne peut effectivement pas être réduite aux vaches et aux volcans, au club de rugby de l'ASM et à Michelin ; ses filières agricole, industrielle et bancaire, son tissu de PME, son capitalisme familial, et des activités R&D, la dotent d'arguments solides au moment de convoler. Pour autant, elle ne représente qu'1/7ème de Rhône-Alpes, sa croissance est inférieure à celle de sa conjointe depuis dix ans, elle est fortement enclavée et délaissée des priorités nationales en matière de transports aérien et ferroviaire, les perspectives d'emploi et d'investissements tout comme l'Indice du climat des affaires (ICA) y sont en-deçà de la moyenne nationale : comment, dans ce contexte, vous emploierez-vous à limiter l'exode, tant redouté, des centres décisionnels vers la « capitale » lyonnaise ? Comment travaillerez-vous à maintenir des équilibres territoriaux dans un territoire d'ensemble fortement déséquilibré ?

Tout d'abord, je suis convaincu que l'arrivée de l'Auvergne est une excellente chose pour Rhône-Alpes. On va découvrir d'extraordinaires talents - certains comme Michelin reconnus dans le monde entier - dans les domaines de l'économie, de l'enseignement supérieur, de la recherche, du tourisme ou de la culture. Quant aux Auvergnats, je veux les convaincre d'avoir confiance. Ce mariage les arrime à l'une des régions les plus puissantes d'Europe, et ils doivent s'y engager avec confiance dans leurs atouts. Tout ne doit pas être résumé à la ville qui abritera les directions administratives centrales !

Certes, mais l'enjeu des regroupements reste clé ; il dépasse le giron « public » et concerne l'ensemble des directions régionales aujourd'hui distinctes et demain réunies... pour les mêmes raisons de « rationalité organisationnelle, économique et financière » qui dictent la fusion des régions. Or imagine-t-on que ces directions seront hébergées à Clermont-Ferrand plutôt qu'à Lyon ?

Les directions de Michelin ou de Limagrain ont-elles l'intention de déménager leur siège social d'Auvergne ? Non, bien sûr. Je suis très confiant pour le maintien à Clermont-Ferrand de centres de décision, voire d'antennes clés lorsque des regroupements feront le choix de Lyon. Franchement, l'Auvergne et Rhône-Alpes ont tout à gagner dans cette fusion. Et particulièrement les acteurs économiques.

La Suisse, notamment des cantons de Genève et de Vaud, frappe aux portes de Rhône-Alpes. Les opportunités de coopération (énergie, enseignement supérieur, transports, recherche, biotechnologies, etc.) sont considérables, mais à ce jour insuffisamment exploitées. Quelle analyse faites-vous des obstacles (culturels, administratifs, législatifs, politiques) ? Et quelle stratégie proposez-vous ?

La Suisse n'est pas en Europe, et pourtant elle constitue le territoire avec lequel nous avons le plus de liens naturels - singularité des frontaliers, investissements communs, logique aéroportuaire, multiples défis économiques auxquels il faut agréger « l'enjeu » italien une fois la ligne Lyon - Turin achevée.  La Suisse est un indéniable atout, mais elle est aussi un problème si j'en juge les doléances légitimes des patrons de Haute Savoie ou de l'Ain qui ne parviennent plus à retenir en France un personnel si copieusement rémunéré de l'autre côté de la frontière. Notre relation doit donc être envisagée de manière équilibrée, équitable. C'est-à-dire qu'Auvergne Rhône-Alpes ne doit pas être vendue à la découpe ! Pour cela, il faut désigner un unique interlocuteur qui se substitue à la jungle d'intervenants - conseils départementaux, communautés de communes, municipalités, etc. - à laquelle les décideurs suisses sont confrontés et qui noie la dynamique collaborative et décisionnelle. Nous pourrons alors construire un pôle commun de coopération, compréhensible de tous et donc efficace sur le long terme.

Laurent Wauquiez

Le secteur du social ne peut être réduit à l'assistanat - que vous assimilez au « cancer de la société ». Votre candidature inquiète les acteurs de la filière - y compris « économique » : univers coopératif, associatif, de l'économie sociale et solidaire - que l'actuel exécutif a soutenus et que certaines de vos déclarations ébranlent. Or la Région a « aussi » une responsabilité dans le champ social, particulièrement dans le contexte de précarisation et d'appauvrissement de la population. Quels engagements prenez-vous à leur endroit ?

L'enjeu « du » social est à mes yeux fondamental. Et il ne faut pas se méprendre. Ce que je dénonce, c'est la dérive du « social passif » qui consiste à verser des prestations sans plus vraiment s'occuper de la situation des allocataires ni pouvoir distinguer franchement les revenus de l'assistanat de ceux du travail - proximité de ressources par la faute de laquelle d'ailleurs des entreprises n'arrivent pas à recruter dans des métiers que pourraient occuper ceux qui cumulent les prestations. Le social auquel je crois, c'est celui par le travail, c'est-à-dire celui de l'inclusion par l'activité économique, celui des chantiers d'insertion, celui des coopératives. Ce social-là repose sur le respect de la personne humaine, il implique que l'on ait confiance en la faculté des individus même les plus « cassés » de se redresser et de retrouver, grâce au travail qu'ils vont exercer et à l'accompagnement adapté que nous prodiguons préalablement, autonomie, dignité, estime de soi et utilité. Lorsqu'on se donne les moyens, qu'on prend le temps et qu'on a l'exigence de réussir, on peut arriver à ramener vers le travail même ceux qui en sont le plus éloignés. Voilà le vrai et le bon social, la vraie et bonne solidarité, et tous ceux qui les déploient et l'honorent n'ont rien à craindre de moi. Bien au contraire, je crois en eux et je serai à leurs côtés. Et là aussi, au Puy, l'ensemble des programmes et des chantiers d'insertion que nous avons mis en œuvre avec les entreprises locales en est la preuve.

Mais de l'assistanat à l'assistance, la ligne de démarcation est ténue. Quand vous déclarez « que maintenir intacts l'indemnité ou le salaire en cas de maladie n'est pas très responsabilisant », tout électeur est en droit de s'interroger sur le sens de la formulation... et tout souffrant d'être ébranlé...

Certes, mais je ne cherche pas à plaire à tout le monde, car je ne suis pas un bonimenteur. Oui, les gens en grande difficulté ou en grande maladie doivent être aidés ; non, ceux qui abusent ne doivent pas être impunis. Les prestations sociales ne doivent pas être distribuées sans équilibre des droits et des devoirs. Et ce souhait converge vers ce qui constitue le ferment de toutes mes convictions : la valeur du travail. Je crois aux entreprises parce qu'elles incarnent le travail, je crois à l'insertion par l'activité économique parce qu'elle repose sur le travail, je crois à la figure du salarié, de l'ouvrier comme de l'entrepreneur parce qu'ils honorent le travail. Voilà mon moteur. Voilà aussi, lorsque j'examine le dispositif législatif déployé par le pouvoir socialiste pour briser le rapport au travail, ce qui me désespère et que je veux combattre. Et d'ailleurs, ce qui me plaît dans notre région, c'est qu'elle est l'une des très rares où ce rapport au travail, si profondément inscrit dans les gènes, n'a pas régressé. Qu'elle soit la plus dynamique de France n'y est pas étranger.

Le Ceser fait l'objet d'interrogations. En cause : son périmètre de compétences, son inféodation à l'institution régionale, une marge de manœuvre et une reconnaissance faibles... in fine son utilité même est questionnée. Or ce modèle transpartisan et multi-obédiences est précieux dans un contexte de délitement des corps intermédiaires et de compression des espaces de débat. Quel sort lui réservez-vous ?

C'est une institution sous-utilisée, à qui sont commandés de pseudo rapports négligés, oubliés ou même enterrés dès leur publication. Le Ceser est utile s'il est consulté en amont des décisions du Conseil régional, et pour cela une véritable confiance réciproque doit s'instaurer. De la même manière pourquoi ne pas confier au Ceser une réelle mission d'évaluation des politiques régionales conduites? Le « cas » Erai est emblématique ; le Ceser n'aurait-il pas pu être une vigie pour anticiper ou diagnostiquer les risques de dérive et aider à améliorer le système d'accompagnement des entreprises à l'export ? Sa contribution intellectuelle et propositionnelle à l'ambition de porter la nouvelle région au leadership européen dans les métiers du net ne serait-elle pas bienvenue ?

Certes, mais pour cela il faut une autorité politique qui la libère de ce qui entrave sa marge de manœuvre et punit sa crédibilité : son asservissement à la tutelle Conseil régional. Etes-vous disposé à lui accorder l'indépendance nécessaire ?

On ne dynamise pas une institution si on décide de la consulter le moins possible par peur qu'elle ait une bonne idée... Le Ceser doit être central dans le processus de travail de la Région, mais pour cela il faut accepter que ses travaux bousculent. Que la Région soit pilotée demain par un élu qui apprécie les gens de caractère et qui dérangent utilement, le permettra. J'attends de ceux qui me font face ce que je m'applique à moi-même.

Laurent Wauquiez

Vous fûtes, même brièvement, ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche. Quel est votre projet dans ce secteur atomisé, miné par les rivalités et les dissensions - inter universités, avec les établissements privés, etc. -, mais aussi emblématique des atouts et de la dynamique économique du territoire ?

Là encore, un seul mot d'ordre : travailler ensemble. On ne peut pas forcer toutes les parties prenantes à se fondre dans un même moule administratif ; il faut savoir additionner sans étouffer ou dépouiller. Cette filière constitue l'une des principales forces de la région et l'une des plus différenciantes aux échelles aussi bien française qu'européenne. Et la capacité d'innovation du tissu économico-entrepreneurial local repose non seulement sur la vitalité intrinsèque des équipes dédiées dans les sites d'enseignement supérieur et de recherche, mais aussi sur la multiplication des passerelles entre cette sphère et celle de l'entreprise. A cette condition, même les plus petites TPE doivent pouvoir « accéder » à l'innovation, car c'est souvent pour elles un enjeu de survie. Et pour cela, je souhaite que des professionnels se consacrent, en lien avec les établissements consulaires, à sillonner les entreprises pour favoriser la mise en relation concrète avec les laboratoires. Ce que m'a rapporté le dirigeant d'un laboratoire de recherche lyonnais leader dans la conception de carburants pour l'aérospatial n'est plus tolérable : faute d'avoir été « entendu » à la Région, il a installé en Aquitaine son nouveau site de production...

Le président de l'UDI Jean-Christophe Lagarde vous a traité « d'anti-européen », et pour l'heure vous ne faites guère fait cas de la place d'Auvergne Rhône-Alpes dans l'Europe, c'est-à-dire du rôle qu'elle doit y exercer et des ressources qu'elle doit y puiser. Est-ce parce que dans le contexte de rejet de l'opinion publique pour l'Europe, associer à cette dernière le destin de la région est un handicap électoral ?

Jean-Christophe Lagarde a lui-même corrigé ses propos. Je crois en l'Europe, mais une Europe réinventée et dans une gouvernance reconfigurée ; trop de pays participent aux décisions, et finalement l'Europe n'est plus capable d'agir. Schengen ne fonctionne plus ; je l'ai déclaré il y a deux ans, et Jean-Christophe Lagarde lui-même exhorte désormais à réformer Schengen. L'Europe doit aussi mieux aider ses entreprises, y compris, comme s'y emploient les États-Unis ou la Chine, en leur faisant bénéficier de préférences. Pourquoi devrions-nous traiter les entreprises américaines ou chinoises de la même manière que les sociétés européennes quand les législations de ces deux pays protègent leurs fleurons contre les concurrents européens ? Ne nous tirons pas une balle dans le pied ! L'Europe doit défendre ses champions, et pour cela employer les mêmes moyens que les autres compétiteurs.

Quant à Rhône-Alpes Auvergne, elle a pour trésor d'être à la jonction des cultures du nord et du sud. De la première elle a hérité l'exigence, la rigueur, le goût du travail, dans la seconde elle a fécondé la convivialité, la chaleur humaine, l'expressivité, la « bonne » désobéissance. Et donc finalement elle possède ce qui fait la tradition, la valeur et la civilisation quintessentielles de « toute » l'Europe. Pour cette raison, son tissu socio-économique est légitime à semer et à nouer des partenariats dans toutes les autres régions du continent, et en premier celles qui lui sont proches géographiquement et historiquement - notamment le Bade-Wurtemberg, la Catalogne, la Lombardie, la Suisse. Enfin, ce n'est pas seulement à Paris de faire entendre la France dans l'Europe ni de faire bouger cette dernière ; Auvergne Rhône-Alpes a un rôle clé à exercer dans ce dessein. Et j'ai une vraie ambition : que notre région redevienne le moteur de l'Europe.

In fine, les entrepreneurs - par nature méfiants à l'égard de la classe politique, d'une droite loin d'être exemplaire à leur égard, et d'élus sans expérience de l'entreprise - s'interrogent : les aimez-vous ? Comment envisagerez-vous votre rôle ? Saurez-vous les respecter, les valoriser, et fonder votre politique sur eux ?

Je ne suis pas l'héritier d'une dynastie politique : le milieu dont je suis issu est celui de l'entreprise. Je suis né et ai grandi dans une famille d'entrepreneurs, notamment du secteur textile. Je demeure profondément marqué par l'histoire de mon grand-père : il possédait une petite entreprise qui périclita et il fut ruiné. Cet effondrement ne fut pas que financier, il fut aussi moral. En effet, il s'était senti incompris et abandonné par le système politique français incapable de faire confiance aux chefs d'entreprise. Et d'ailleurs mon engagement en politique fut loin d'être accepté par ma famille, tant la réputation de ce « métier » était entachée. Et au fil de mes responsabilités, mon grand-père eut cette touchante confession : « Je peine à comprendre la voie que tu as choisie, mais je sais que tu te bats pour les entreprises et cherches à créer de la valeur et des richesses pour le pays. Continue comme ça ». J'ai fait en sorte de ne jamais oublier cette leçon.

Je suis un politique qui est en contact permanent avec les chefs d'entreprise. Je sais que les seuls créateurs d'emploi, ce sont eux. Je sais ce que notre territoire leur doit en matières sociale, économique, ou financière. Et comme eux, j'ai l'obsession du résultat et de rendre des comptes, j'ai aussi conscience que la classe politique n'a pas toujours été à la hauteur de leurs besoins. On peut d'ailleurs vérifier que j'ai toujours travaillé en partenariat avec eux sur mon territoire. Pour toutes ces raisons, des chefs d'entreprise figureront sur ma liste. Ils verront que je ne suis pas un politique arrogant et ignorant de leur réalité, ils nous aideront à inoculer dans le secteur public la rigueur et la discipline propres au privé. Et je veux leur dire : investissez-vous à nos côtés, apportez-nous votre expertise, votre expérience, votre exigence. Travaillons ensemble. Je ne réussirai pas seul ; j'ai besoin de vous.

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Commentaires 11
à écrit le 25/09/2015 à 9:33
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Au moins un candidat qui se préoccupe de l'emploi en Rhône Alpes Auvergne. On n'a pas entendu la majorité actuelle sur les chiffres alarmants du chômage. L. Wauquiez sait qu'il ne fera pas sans les entreprises et c'est très bien ainsi.

à écrit le 24/09/2015 à 17:00
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très intéressant

à écrit le 24/09/2015 à 15:29
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comme quoi, il n'y a pas que le simple citoyen qui s'inquiète de l'arrivée d'une droite extrème en Auvergne-Rhône - Alpes ! pauvre avenir pour cette région si cet zélote de Buisson passe..............

le 09/07/2016 à 8:24
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Wauquiez pas 'sectaire .? .,alors pourquoi dit il 'les écologistes 'protecteurs de la nature ..sont des ayatollahs ? , , je lui rappelle un message d'un grand protecteur disparu Michel Brosselin , " ceux qui auront su conse...

à écrit le 24/09/2015 à 11:54
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Attention : les réponses de Laurent Wauquiez sont habiles mais malhonnêtes. Au Puy-en-Velay, nous savons depuis longtemps ce que vaut la parole de Laurent Wauquiez-le menteur. Début janvier, lors de ses vœux, il nous promettait, les yeux dans les yeu...

le 26/03/2016 à 10:35
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Bien de votre avis , les Auvergnats en ont marre de ce pseudo père Noêl ..Ce n'est pas parce qu on s'habille comme le père Noêl, que l'ont ressemble au père Noêl , que l'ont devient le père Noêl .. Sa veste rouge et sa chevelure blanche deviennent ri...

le 09/07/2016 à 8:37
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Tout est 'dit est bien dit ! , d'ailleurs 'pourquoi ce beau parleur ,prometteur .. est si accablé par les proches de son camp , ? Juppé, Morano , Baroin et tant d'autres bizarre non ???

le 09/07/2016 à 9:12
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Alors 'je me pose cette question curieuse ..Pourquoi en Auvergne et ailleurs , l'appelle ton " le fou du Puy " ?? , et sans doute pas seulement pour ' son ' gros mensonge ' pour sa place de Maire , passé ex Maire et très ...

à écrit le 24/09/2015 à 9:13
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bravo à Acteurs de l'éco pour la qualité des questions posées, précises, argumentées, non complaisantes; monsieur Wauquiez y a souvent répondu; plus silencieux sur ses relations avec p. Buisson; sa préparation de campagne unitaire est rondement mené...

à écrit le 24/09/2015 à 8:02
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Un propos consensuel de la part d'un candidat considéré comme clivant. Son temps National n'est pas venu. L'´horizon est à 2022. D'ici là, sa réussite en région dépend de sa capacité à fédérer et à faire en sorte qu'1+1 >2.. Cela passe passe l'indisp...

le 09/07/2016 à 8:57
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Oui L Wauquiez vise 2022 .. la Présidence de la France , mais il sera est et déjà démasqué , ce n'est pas son Center Parks qui va l'aider ni sa conduite du mépris de la conservation de l'Environnement qui le prop...

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