E.Forest : "Sur le Tech40 d'Euronext, il n'y a pas de bulle spéculative"

Éric Forest, Pdg d'EnterNext, filiale de développement d'Euronext, détaille la stratégie de la place boursière européenne afin de valoriser les entreprises du secteur tech (numérique, sciences de la vie et éco-industries). Selon lui, la création du label Tech 40 devrait permettre une meilleure visibilité de ces jeunes pousses auprès des investisseurs. Ces derniers sont de nouveau euphoriques sur les marchés d'actions, orientant de plus en plus leurs capitaux sur ces sociétés à haute valeur ajoutée. M. Forest met également en avant le dynamisme de la région Rhône-Alpes.

Acteurs de l'économie - La Tribune : EnterNext, filiale de développement d'Euronext, a lancé, en mai 2015, le label Tech 40. Celui-ci permet de distinguer des PME-ETI européennes à fort potentiel, dans le secteur tech. L'un des constats que vous dressez, et qui explique la mise en place de ce dispositif, est un manque de relation entre les entreprises et les investisseurs. Cette solution du label est-elle suffisante pour connecter les deux parties, et donc assurer le financement des entreprises ?

Eric Forest : Au départ, nous avons effectué une série d'auditions auprès de nombreux experts du secteur. Le constat était le suivant : il résultait un manque de visibilité des entreprises du secteur tech qui dispose d'un fort potentiel de croissance et de développement. Pour répondre à cela, nous avons initié le label Tech 40, un outil marketing qui permet de mettre en lumière ces entreprises. Nous développons également d'autres outils. Par exemple, en collaboration avec Morningstar, nous mettons gratuitement à la disposition des investisseurs des notes d'analyses quantitatives sur chacune de nos 320 entreprises technologiques. Nous organisons également des "Pitch Tech Days", permettant aux entreprises de présenter aux investisseurs et analystes leurs business, sans forcément parler chiffres et rentabilité.

On considère qu'il y a un énorme potentiel en Europe, et particulièrement en France. Ces entreprises, fortes de leur croissance, ont régulièrement besoin de fonds. Les entreprises tech ont un accès très limité aux prêts bancaires, car leur modèle économique n'est pas celui de la rentabilité à court terme.

Quel est le comportement des investisseurs auprès des entreprises tech ?

Même si un manque de communication persiste, nous constatons depuis deux ans une très forte évolution de la part des investisseurs, ce qui se traduit par un nombre croissant d'introductions en Bourse, et le succès de ces opérations.

Depuis l'automne 2013, les investisseurs français et internationaux ont de nouveau porté leurs intentions sur les valeurs moyennes, particulièrement sur celles liées au secteur tech. Les investisseurs particuliers soutiennent également ce mouvement. Ils ont une forte appétence pour les entreprises du secteur technologique. L'intérêt du particulier est plus important sur les valeurs moyennes, que sur les grosses capitalisations.

Comment expliquez-vous cet élan ?

Grâce à une "sortie" de crise, les financiers se sont à nouveau intéressés aux marchés d'actions. Dans le même temps, la baisse des taux d'intérêt a engendré, en termes d'actifs, une rentabilité plus faible pour les investisseurs sur le marché obligataire. Il y a également eu un afflux de liquidité, avec des montants considérables à investir dans le marché d'actions de la part des acteurs institutionnels.

Concernant les particuliers, ils sont aussi à la recherche de rendement. Mais en accompagnant les valeurs moyennes, ils ont le sentiment de faire leur "devoir citoyen", en aidant à financer l'économie réelle. La dimension régionale des entreprises est également prépondérante, la proximité incitant les petits porteurs à s'engager.

Les particuliers ont ainsi le sentiment de contribuer au devenir de la société et de l'économie, notamment dans les sciences, et dans le numérique, en prenant part à sa transformation.

Euronext

Quel est le bon moment, pour une jeune pousse, pour effectuer son introduction ?

Il est difficile de dresser une généralité, mais il y a tout de même des points communs : le projet de développement doit être précis. C'est-à-dire, il doit avoir dépassé le stade de la preuve du concept. Cela nécessite de démontrer que le produit, au sens large du terme, fonctionne. L'entrée en Bourse permet d'accélérer le développement. Cela nécessite une maturité indispensable dans le business.

Malgré un potentiel important, et le dynamisme d'Euronext sur ce segment (20 introductions techs depuis janvier 2015), certaines jeunes pousses hésitent, voire se détournent de ce mode de financement. La Bourse est-elle toujours la vitrine et le mode de financement idéal ?

Je pense qu'il s'agit plutôt d'une question de maturité des entreprises qu'un détournement. Nous sommes un maillon de la chaîne de financement, opérant en aval, après plusieurs levées de fonds.

Nous devons continuer à rencontrer les entreprises et à les éduquer. D'où le souhait de mettre en place le programme TechShare. Ce dernier permet aux entreprises de se poser les bonnes questions et d'avoir une éducation plus complète sur les marchés, pour être prête, le jour où elles décideront de franchir le pas. C'est un travail d'acclimatation à l'environnement de la bourse. Jusqu'à présent, les entreprises avaient parfois sous-estimé l'effort pour y parvenir.

La bourse est-elle néanmoins adaptée aux jeunes pousses tech ? La nature de ces entreprises est basée sur l'innovation et donc, sur la prise de risque. Est-ce compatible avec des investisseurs qui attendent des résultats trimestriels ?

Oui, elle est adaptée. L'entreprise récolte des fonds pour continuer son développement. Ces entreprises tech sont très vivantes et agiles dans leur développement. Cela génère du "news flow", c'est-à-dire de l'information relative à leur activité. D'un point de vue marché, c'est un élément très positif.

Mais, si dans le développement d'une entreprise, une phase se passe moins bien par rapport au plan initial, les investisseurs sont-ils prêts à attendre ?

Les investisseurs boursiers ont désormais intégré ce facteur. En revanche, ils attendent une transparence. Ils sont capables de comprendre les aléas et de les entendre, dès lors que cela est expliqué.

Observe-t-on un changement de mentalité des financeurs sur cette question ?

Je pense plutôt que c'est un changement de contexte. Lors de la crise financière, l'aversion au risque était très forte. Dès lors que nous sommes, depuis 2013, rentrés dans une nouvelle phase, l'analyse de l'investissement dans une société tech est différente, et la prise de risque plus envisageable.

La bourse de paris en hausse a la mi-seance

Ce nouveau dynamisme peut-il entraîner une nouvelle bulle spéculative ?

Nous ne sommes plus dans les années 2000, où des entreprises étaient entrées en Bourse en ayant  uniquement un concept. Je ne critique pas la posture de l'époque, où les marchés ont alors souscrit très largement.

Mais aujourd'hui, cela n'est plus le cas. Les sociétés qui viennent sur les marchés sont dans des phases avancées de développement. Elles généreront du chiffre d'affaires dans un temps relativement court. Certaines en réalisent déjà.

Selon vous, il n'y a donc pas de survalorisation dans les entreprises tech françaises ?

En termes de valorisation, il n'y a pas de bulle en France, ni sur les marchés européens. Nous ne sommes pas dans cette situation, car les investisseurs ont, certes, de nouveau de l'appétit et des moyens, mais ils demeurent sélectifs. Cette attitude permet d'éviter la mise en place d'une bulle spéculative.

De quelle manière pouvez-vous inciter les entreprises françaises à s'introduire sur le marché domestique français et européen, et non pas sur le Nasdaq ?

Il y a très peu d'entreprises françaises qui ont décidé de se coter ailleurs, aux Etats-Unis, notamment. Tout le monde parle de l'exemple de Criteo, mais ce cas est presque une exception.

Aujourd'hui, nous démontrons qu'il y a une profondeur de notre marché, c'est-à-dire, que les investisseurs français et étrangers investissent fortement dans les entreprises tech. Il n'y a pas besoins de partir aux USA pour se faire financer par des Américains. Ils sont présents chez nous, dans nos marchés.

C'est une dimension très importante, car les entreprises tech visent l'international. Le raisonnement en zone géographique, prépondérant il y a 15 ans, n'est plus valable. Même pour les jeunes sociétés technologiques, à l'instar d'Erytech Pharma (Lyon). Dès le départ, elle a structuré son activité dans une logique de déploiement à l'international.

Ainsi, les "Criteo" de demain devraient, grâce à nos différents dispositifs et notre attractivité, considérer leur cotation sur nos marchés avec un œil différent. Euronext est autant capable que le Nasdaq d'accueillir les pépites technologiques.

Crédits : Laurent Cérino /ADE

La région Rhône-Alpes-Auvergne est très bien représentée dans le label Tech 40. Ainsi, parmi les pépites de demain, se trouvent peut-être des entreprises rhônalpines, à l'image d'Erytech Pharma que vous citiez, ou de LDLC. Comment analysez-vous le dynamisme de ce territoire ?

Le dynamisme de la région est excellent, dans les différents pans de l'économie et également dans le secteur tech. Il y a eu trois introductions en Bourse depuis le début de l'année, ce qui est très positif. Les labellisations French Tech soulignent justement ce dynamisme. Il faut ajouter à cela les différentes initiatives de la région Rhône-Alpes et de la métropole de Lyon.

Outre ce facteur, il faut noter le potentiel du territoire. Et avec l'élargissement à la région Auvergne, ce potentiel va s'accroître, notamment autour des clean-tech (eco-industrie).

Dans le label Tech 40, les sociétés du secteur éco-industrie sont justement moins représentées. Comment voyez-vous leurs évolutions ?

D'un point de vue boursier, c'est un secteur encore en devenir. Ce segment d'activité est très récent. Mais on assiste à un réel mouvement, avec une accélération du nombre d'introductions d'entreprises clean-tech depuis deux ans.

Par rapport aux autres pays européens, le potentiel français est immense. Il y a une spécificité et un savoir-faire hexagonal dans ce domaine d'activité.

Et dans le contexte macro-politique mondial, ce dynamisme va se renforcer avec les grands débats et échéances autour du changement climatique et de la transition énergétique. Cela participe à l'effervescence du secteur. Cet écho politique  pousse les clean-tech à devenir un pan important de l'économie. Ainsi, dans les années à venir, les cotations dans ce domaine devraient se multiplier.

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