La France commencerait-elle d'aimer ses entrepreneurs ?

Le 12ème Salon des entrepreneurs se déroule à Lyon, les 2 et 3 juin, Mathieu Labey, fondateur de la start-up Glowbl, et Xavier Kergall, président du Salon des entrepreneurs en sont convaincus : la France commencerait, enfin, d'aimer ses entrepreneurs. Initiatives publiques, évolution des discours, nouvelle génération indépendante et motivée... la France prend la bonne direction et rattrape son retard. De quoi inspirer une vague d'entrepreneurs, « née un smartphone dans les mains », à entreprendre. Malgré la subsistance de freins très importants.
Xavier Kergall, fondateur et président du Salon des entrepreneurs et Mathieu Labey, fondateur de la start-up Glowbl.

Acteurs de l'économie : Ecoles, incubateurs, accélérateurs, événements comme les différentes éditions du Salon des entrepreneurs démontrent, ces dernières années, que l'esprit d'entreprendre est bel et bien présent dans les territoires. Les initiatives fleurissent. Qu'est-ce qui a changé ?

Xavier Kergall : Cette notion d'entreprendre et d'envie est réelle. Nous observons une tendance de fond chez la nouvelle génération qui souhaite être plus libre, indépendante, créative. Auparavant, les jeunes étaient formatés, suivaient un apprentissage traditionnel et finissaient dans de grands groupes, étaient ingénieurs, médecins, avocats, etc. L'entrepreneuriat était résolument réservé à des enfants d'entrepreneurs. Aujourd'hui, la tendance a changé, elle draine la mixité, du brassage, et une plus grande ouverture d'esprit.

Mathieu Labey : Il est terminé le temps où une personne faisait carrière pendant 25 ans dans une grande entreprise. L'attrait l'est beaucoup moins. Aujourd'hui, l'entrepreneuriat devient plus attirant pour les jeunes qui souhaitent mener des projets par eux-mêmes. Décider de leur propre avenir. Prendre du plaisir à travailler. Et ceci dans un épanouissement personnel. Une génération qui ne souhaite plus faire, bêtement, ce qu'on lui demande.

Contrairement à la pensée dominante qui perdure depuis des années, aujourd'hui la France aime-t-elle enfin ses entrepreneurs ?

M.L. : Je crois qu'en ce moment oui, elle le montre en tout cas avec les initiatives mises en place. Il faut se rappeler que la France est à l'origine du Minitel par exemple, donc nous n'avons pas à rougir de nos exemples, de notre capacité à mettre en place des initiatives.  En France, on bouge peut être moins vite qu'ailleurs mais on bouge plus sûrement. La démarche French Tech va dans ce sens. Des choses sont faites, les bonnes volontés sont présentes, les discours s'entendent.

X.K. : Il y a eu une telle désillusion au cours des générations précédentes tant dans le public que dans le privé sur les fameux plans de carrière, que finalement, à l'heure actuelle, dans une famille, un jeune qui annonce à ses proches, « j'ai envie de créer mon entreprise, de tenter l'aventure » est encouragé dans sa démarche contrairement à il y a 20 ans, où c'était plutôt mal vu, les familles préférant les professions d'avocat, d'expert-comptable, de médecin, ou d'ingénieur. La France prend donc la bonne direction.

Cependant, d'autres nations ou agglmérations (Etats-Unis, Londres ou Berlin) font davantage rêver la jeunesse notamment lorsqu'il s'agit de travailler dans le numérique. Que manque-t-il à la France pour qu'elle soit, elle-aussi, une destination attractive ? Quels sont les freins ?

M.L. : La Silicon valley c'est la ligue 1 du digital, c'est comme cela et personne n'empêchera ces talents de s'y rendre. Mais la France a des atouts. Nous avons la chance d'être assez anticonformiste, de posséder une diversité des hommes, un vivier de cerveaux. Nous avons les idées et les talents mais il manque l'argent pour les financer. D'ailleurs, le terme financier parle de lui-même. En anglais, il s'agit de capital venture, autrement dit, de l'argent pour financer une aventure ; tandis qu'en français, le terme employé est capital risque. Tout est dit. Un travail est à faire pour faire changer ce postulat. La France souhaite de grandes sociétés du numérique, entre autres, mais encore faudrait-il être en capacité de les financer sur la longueur. Les risques, ce sont une fois de plus les entrepreneurs qui les prennent pas les banques, ni les financiers. Mais tout cela est en train d'évoluer.

X.K. : Le financement est disponible.On le trouve, sauf lorsqu'il faut financer de très gros projets. Ce qu'il manque en revanche, c'est une simplification du marché du travail et cet archaïsme administratif continu. Puis, les entrepreneurs n'ont toujours pas le droit à l'erreur. Une hérésie !

xavier kergall

Les outils d'aide à la création d'entreprise, d'accompagnement dans le parcours de vie sont nombreux. Serait-il ainsi plus facile d'entreprendre en 2015 qu'hier ?

M.L. : Entreprendre sera toujours une mission semée de contraintes et d'embuches mais une aventure formidable pour celui qui ne lâche rien, qui a l'envie, le concept. Et ce, que l'on soit en France comme aux Etats-Unis. Ce serait en effet une erreur de penser qu'il est plus aisé d'entreprendre Outre-Atlantique. La sélection y est terrible avec un formatage dans lequel il faut entrer, encore plus fort que chez nous. En revanche, je trouve qu'ici nous ne laissons pas assez de temps aux start-ups pour développer leur modèle. C'est impossible qu'en l'espace de trois à six mois, dans un incubateur ou un accélérateur, une startuper puisse mettre au point une innovation. Enfin, en France, nous avons un problème récurent : ne pas accepter l'échec. Les banques n'oublient pas. Nous sommes encore dans cet état d'esprit,  et c'est un vrai problème. Alors qu'aux Etats-Unis, si l'entrepreneur n'a pas connu l'échec, il sera mal vu en quelque sorte.

X.K. : La création n'est pas compliquée en France, c'est la suite qui l'est. Trouver les bonnes personnes qui puissent accompagner l'entreprise vers la transformation. En revanche, ce qui est peut-être plus compliqué aujourd'hui qu'il y a 20 ans, ce sont les cycles de production de services mis sur le marché qui sont très courts et visibles à tous dès lors qu'une communication est faite, qu'il y a une levée de fonds ou autre, ce qui modifie considérablement le quotidien d'une jeune entreprise contrairement aux générations précédentes.

Quelle est pour vous la définition d'un bon entrepreneur en 2015 ?

M.L. : Je ne pourrais vous le dire qu'à la fin de ce que j'ai construit. Mais je pense qu'un bon entrepreneur est avant tout une personne déterminée, motivée et curieuse qui ne lâche rien. C'est ce qui constitue le socle de base. Un entrepreneur ne peut être bon partout, c'est un fait, mais il est important de savoir là où il est mauvais, là où il peut s'améliorer, et évoluer. Dans mon cas, je ne suis pas là pour faire un coup mais pour prendre du plaisir, avoir une belle équipe, un beau concept, vivre l'aventure. Malgré les moments difficiles, de doutes, je n'ai jamais voulu lâcher.

X.K. : Un bon entrepreneur doit bien savoir identifier les zones d'incompétences en sachant très bien s'entourer. Ceci étant, nous ne pouvons juger ses qualités par rapport à sa réussite entrepreneuriale. Il faut à mon sens décolérer les choses. Par exemple, ce n'est pas parce qu'il a connu l'échec que c'est un mauvais entrepreneur.

Mais tout le monde ne peut devenir entrepreneur...

X.K. : Le risque serait d'être un entrepreneur par défaut. Tous ceux qui n'ont plus de travail, ont été malmenés dans des grands groupes et n'ont eu d'autre choix que de devenir auto-entrepreneurs, ne sont pas entrepreneurs pour autant. Cela peut révéler quelques talents mais la proportion reste très faible.

M.L. : L'auto-entrepreneuriat est tout de même une bonne chose, qui a permis de libérer et simplifier l'accès à l'entrepreneuriat. De donner un signal fort à ceux qui ont des idées, et l'envie de se jeter à l'eau. Je préfère cela, plutôt que la mention « en recherche d'emploi » sur Linkedin. Cela révèle vraiment un manque de motivation.

Mathieu Labey

Le numérique, les start-ups, la Californie, la French Tech, tout cela participe à faire naître l'envie d'entreprendre auprès d'une génération qui a grandi et est née avec le digital. C'est nouveau et cela déstabilise aussi les grands groupes...

M.L. : La nouvelle génération est née avec un smartphone entre les mains donc ça l'excite de pouvoir créer et d'entreprendre avec des outils accessibles. De quoi provoquer des changements dans leur manière de faire, de concevoir le travail, la relation au temps, et de penser l'entreprise.

X.K. : Une vraie lame de fond est née du côté de la jeune génération qui préfère entreprendre ou intégrer une start-up. Hier, c'était les générations Gattaz, Dassault qui dominaient avec l'objectif de transmettre, de laisser une trace. Au XXe siècle, un grand virage à 180° a été pris, où la génération digitale veut aller vite, veut faire et être indépendante. Et c'est un problème pour les grands groupes qui s'arrachent les cheveux pour attirer les talents ou les conserver. Les DRH ne savent pas comment les appréhender. De quoi déstabiliser les historiques.

Cependant, les grands groupes ont-ils pris la mesure et l'intérêt que peuvent leur apporter cette génération mais aussi ces start-ups ?

M.L. : Aujourd'hui, nous sommes dans une phase de cohabitation entre eux et les start-ups. Chacun avec son rôle défini. Les décisions sont beaucoup plus longues dans les grands groupes mais ils ont les moyens, les réseaux. Alors que les start-ups insufflent l'esprit start-up, et sont plus agiles dans leur manière de fonctionner. Cette relation est positive si les deux parties veulent avancer ensemble.

X.K. : La relation est meilleure qu'avant. Bien que les grands groupes soient encore en mode panique qui les amène à créer leur incubateur ou accélérateur. Ils veulent se coller à la nouvelle génération. Ce que les Anglo-saxons font depuis très longtemps. D'un autre côté faut-il se plaindre de cette innovation ? Si les grands groupes possédaient toute la chaîne de valeur, les start-ups n'existeraient pas. L'atonie des grands groupes est une chance pour les entrepreneurs.

Les initiatives se développent au sein de l'Education nationale et de l'Enseignement supérieur pour faire découvrir le monde de l'entreprise, et peut-être faire naître des vocations d'entrepreneurs. Mais peut-on enseigner l'esprit d'entreprendre ?

M.L. : Je ne crois pas. On peut donner le goût à l'entrepreneuriat mais pas l'enseigner. Je me souviens à l'école de la venue d'un entrepreneur qui témoignait de son expérience, nous expliquant sa réussite entrepreneuriale, sa belle histoire. C'est ce type de témoignage qui vous donne l'envie. Dès l'école, il faut savoir susciter la curiosité, l'autonomie, la confiance, la recherche d'information, d'idées, l'envie de vivre l'aventure en somme. Ce qu'amènent les écoles 42 ou Epita par exemple. Ensuite, à l'université, il faudrait davantage apporter cette culture de l'entreprise car les vrais cerveaux tech sont là-bas. J'aime beaucoup l'université pour son aspect ouvert et sa recherche fondamentale, puisque c'est dans ces établissements que les grandes innovations se pensent.

X.K. : On peut l'insuffler, le distiller, le faire naître mais pas l'enseigner. Nombreux établissements prennent des initiatives sur la notion d'entrepreneuriat surtout sur l'esprit d'initiative. Des initiatives qui parlent aux entrepreneurs bien qu'eux-mêmes soient parfois trop individualistes, et manquent d'ouverture.

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Commentaires 3
à écrit le 01/06/2015 à 17:51
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Les entrepreneurs? Les entreprises? Un vaste monde sous une seule appellation ce qui entraine constamment des confusions. Quels points communs entre le plombier ou le peintre ou le petit restaurant-bistrot qui organise des évènements et anime son qua...

à écrit le 01/06/2015 à 17:28
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Mais la France aime ses entrepreneurs ...quand ils sont entreprenants ...ce qui n'est pas toujours la cas!!! malheureusement souci du client et innovation dne sont aps toujours au rendez vous d'ou des pertes de marchés ! et le chomage qui suit

à écrit le 01/06/2015 à 16:20
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Intéressant. Sauf que c'est facile de parler quand on a monté sa boîte et levé des fonds avec du love money...Ce mythe de la méritocracie (tu bosses-> tu récoltes) est dangereux: il fait abstention de toutes les données sociologiques et psychologique...

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