Hubert du Mesnil : "Le Lyon-Turin sera un outil de compétitivité pour la France"

Le tunnel Lyon-Turin va refaire parler de lui en ce début d'année. Hubert du Mesnil, président de Lyon-Turin Ferroviaire (LTF), évoque les étapes à venir pour ce projet de plus en plus contesté. Il défend la nécessité économique pour la France de réaliser cette liaison pour enclencher un processus de report modal ambitieux malgré les frilosités françaises dans ce domaine.

Acteurs de l'économie-La Tribune : Depuis mars 2013, vous êtes président de Lyon-Turin Ferroviaire (LTF), la structure en charge de la construction de la partie transfrontalière du projet. En ce début d'année on reparle beaucoup du tunnel Lyon-Turin, lundi les écologistes ont d'ailleurs souligné leur opposition au projet. Quelles sont les grands rendez-vous pour la section transfrontalière de la future liaison Lyon-Turin en 2015 ?

Hubert du Mesnil : 2015 sera une année décisive pour la réalisation de la section transfrontalière de la nouvelle liaison Lyon-Turin, avec trois étapes clés qui interviendront au cours des premiers mois de l'année.

Tout d'abord, nous engagerons, en janvier, le chantier de la galerie de Saint-Martin-La-Porte en Savoie. Il sera constitué pour l'essentiel par l'excavation d'une galerie de reconnaissance, d'environ 9 km, réalisée en direction de l'Italie. Cette galerie permettra de mieux connaître un secteur géologiquement délicat. Ces travaux s'étaleront sur une période de 5 à 8 ans et auront un impact significatif en termes de retombées économiques et d'emplois pour le territoire ; ils devraient générer plus de 300 emplois dans les plus fortes périodes d'activité.

Par ailleurs, le début de l'année 2015 sera marqué par la constitution du nouveau promoteur qui succèdera à LTF pour la réalisation des travaux principaux de cette section transfrontalière, essentiellement le nouveau tunnel ferroviaire franco-italien de 57 km. Ce processus se concrétisera par un changement d'actionnaires. En France, RFF cède ses actions à l'État et en Italie RFI cède ses actions à la holding FS, holding de tête du ferroviaire en Italie, contrôlée par l'État.

Enfin, LTF contribue fortement à instruire le dossier que la France et l'Italie présenteront conjointement à la Commission européenne le 26 février 2015, pour le financement de la section transfrontalière du Lyon-Turin. La Commission européenne a d'ores et déjà confirmé sa disponibilité pour un financement de l'UE à hauteur de 40 % (3,4 milliards d'euros), l'Italie et la France interviendront respectivement à hauteur de 35 % (2,9 milliards d'euros) et 25 % (2,2 milliards d'euros).

Le coût total de la section transfrontalière est estimé à 8,5 milliards d'euros, en euros constants 2010, un coût qui a peu varié depuis l'origine du projet. Des confusions apparaissent parfois avec le coût global du projet Lyon-Turin, de l'ordre de 24 milliards d'euros. Il faut préciser que ce montant est un montant estimatif, prenant en compte la réalisation des accès français et italiens, en complément de la section transfrontalière. Mais la construction de ces accès dans les deux pays, selon l'accord intergouvernemental de janvier 2012, sera progressive, réalisée par phases, en fonction notamment de l'évolution du trafic. Il faut aussi noter que ce coût global intègre d'autres chantiers, tels que le contournement ferroviaire de l'agglomération lyonnaise, indispensable même sans le Lyon-Turin.

Revenons à l'origine du projet.  Dans les années 80,  la réalisation de cette liaison ferroviaire entre Lyon et Turin était justifiée par le souhait de créer une ligne à grande vitesse pour les voyageurs. Qu'en est-il aujourd'hui, alors que les oppositions au projet se renforcent ?

Au départ, nous sommes effectivement partis sur l'idée d'une ligne à grande vitesse. Dans le contexte de l'époque, la concentration intellectuelle était focalisée sur ce type d'infrastructures. C'était la pensée dominante. Actuellement, en France, il y a un débat sur la politique des lignes à grandes vitesses, sur leur sens et leur utilité économique et sociale. Dans ce contexte de réflexion nationale autour de ces ouvrages, ce n'est pas le maillon du Lyon-Turin qui serait prioritaire, alors que d'autres, plus importants, sont à revoir. Si nous considérions encore comme utile la construction d'une ligne à grande vitesse à cet endroit, nous aurions tout faux. Aujourd'hui, l'argument initial ne permet plus la justification du projet.

Ainsi, des malentendus persistent comme des boulets historiques sur le but même de la liaison. Par exemple, en Italie, on parle des NoTAV* (treno ad alta velocità, train à grande vitesse en italien, Ndrl), alors qu'il ne s'agit pas d'une ligne à grande vitesse. S'il y a une utilité à ce projet, c'est bien sûr pour le report modal. Si l'on n'aborde pas cet argument, alors je ne sais pas de quoi on parle. Le report modal est l'intérêt stratégique et politique du projet. Je pense que nous ne sommes pas encore assez efficaces dans l'argumentation, la démonstration et dans l'effort de compréhension de cet aspect principal de cette initiative.

L'argument de l'explosion des flux de marchandises est avancé par de nombreux acteurs du projet. Une position défendue depuis la genèse du programme et encore en vigueur aujourd'hui.  Mais si on regarde de plus près les statistiques, ces prévisions ne sont pas certaines. Sans augmentation du trafic, ce projet est-il nécessaire ?

Dans les propos tenus à l'origine du projet, il était avancé qu'il fallait construire ce nouveau tunnel de base, car l'ancien arriverait à saturation. Nous avions introduit une idée de justification quantitative ; c'est-à-dire,  lorsqu'il n'y aura plus de place pour faire passer les marchandises, il faudra disposer d'une capacité nouvelle. La justification du projet était alors la suivante : la courbe actuelle du trafic de marchandises utilisant le tunnel historique du Mont-Cenis était en croissance. À cette époque, le tunnel tournait à 8-9 millions de tonnes par an et pouvait aller jusqu'à 14 millions de tonnes, avant saturation. Cette augmentation des flux justifiait la construction d'une capacité nouvelle. L'argument initial n'était donc pas celui du report modal, alors qu'il est aujourd'hui la clef du projet.

L'argument qui consistait à dire que le tunnel existant allait être saturé n'a plus lieu d'être. Nous sommes passés d'une époque de grande croissance continue à une conjoncture économique difficile. Sur l'arc alpin franco-italien, les flux se sont stabilisés. Et sur la zone des Alpes du Nord, les activités sont en diminution. L'évolution récente, notamment à cause de la crise économique de 2008, a créé une période de non-croissance.

Mais il faut distinguer la croissance économique de l'Europe avec celle des flux généraux. Ce n'est pas la même chose. Par exemple, les trafics asiatiques peuvent créer une augmentation croissante des échanges sur le continent. Les grands ports du nord de l'Europe sont en expansion, car les trafics asiatiques augmentent.

Pouvez-vous ainsi acter que l'argument avancé depuis de nombreuses années sur l'augmentation des flux européens n'existe plus ?

Absolument, ce n'est plus un argument, en tout cas pour l'instant. Mais nous ne pouvons pas reprocher aux gens d'avoir pensé cela, car à l'époque nous résonnions en croissance continue. Ainsi, les opposants du projet avancent désormais le fait que, puisqu'il n'y a plus de croissance, il n'y a plus d'utilité au projet.

C'est pour cela que nous avons besoin de réexpliquer la mission et l'utilité du Lyon-Turin.

Vous pensez donc que le salut des échanges viendra des flux extraeuropéens, et notamment de la Chine ?

Exactement. Il ne faut pas confondre la croissance économique européenne avec les flux liés au niveau global de consommation. Les marchandises circulent de manières différentes, notamment celles issues des transports venant d'Asie. Ces marchandises arrivent par les ports de Gènes en Italie, et d'Anvers, Rotterdam et Hambourg au nord.

Ainsi, par la localisation géographique de l'arrivage, les marchandises seront logiquement distribuées le long de la "banane bleue", qui s'étend de Londres à Milan en passant par la vallée du Rhin, via les tunnels autrichiens et suisses, et pas forcément par celui du Lyon-Turin...

Si on accepte cela, si on considère que c'est une donnée durable, que l'Europe peut s'organiser en étant structurée par des flux nord-sud, que l'avenir appartient aux ports du nord et aux tunnels qui vont exister pour la desserte nord-Sud, alors on peut effectivement considérer qu'on peut vivre comme cela et passer à côté de ces flux. Ce n'est pas notre vision.

Estimez-vous qu'avec la construction de ce nouveau tunnel franco-italien, les flux vont automatiquement se dévier vers l'ouest de l'Europe, et donc vers la France ?

Je pense que dans cette construction de l'Europe, il y a la place pour la concurrence. Il y a certes les ports dominants du nord de l'Europe, ainsi que la puissance de l'Allemagne dont l'industrie est importante. Mais dans ce paysage-là, il y a aussi le nord de l'Italie qui a toute sa place. La puissance économique et industrielle de cette région est très importante. Italie du nord, Allemagne, ports du nord, c'est le même combat.

Ils ont tous les corridors nord-sud à leur disposition, et auront trois tunnels qui s'offriront à eux.  Si nous restons dans cette logique dominante nord-sud, la France n'a alors qu'à passer tranquillement ses vacances dans les Alpes. Nous deviendrions une France touristique qui serait mise de côté des flux économiques. C'est un choix.

Je vois bien cette Europe portuaire qui est en train de se dessiner. Mais ce n'est pas la vision de la majorité des parlementaires. Ils considèrent que la France, dans son ensemble et la Région Rhône-Alpes en particulier, ne peut pas capituler devant cette position dominante qui est en train de se construire. La question est de savoir si on prétend être dans la même cour que les autres.

N'est-ce pas des grands schémas d'affirmer que l'arrivée d'une nouvelle infrastructure changera le paradigme des flux ? La demande, notamment en France, sera-t-elle vraiment là ?

Aujourd'hui,  les marchandises ne peuvent pas passer par la France. On propose aux transporteurs les deux tunnels routiers qui sont parmi les plus chers de toute l'Europe : celui du Fréjus et celui du Mont-Blanc. Quant au tunnel ferroviaire du Mont-Cenis, tel qu'il est configuré actuellement, avec les coûts de transports et d'acheminement, comparé aux coûts suisses (subventions, performances) ou aux coûts autoroutiers voisins, il ne peut pas rivaliser. Il n'y aura pas de report modal par ce tunnel. Il est sous-dimensionné, trop dégradé par rapport à la concurrence et à une altitude trop élevée.

Par ailleurs, nous avons fait cinq ans de travaux sur la ligne historique du Mont-Cenis qui ont perturbé son mode de fonctionnement. Le passage de marchandises était alors quasi impossible. Toutes les raisons étaient réunies pour qu'il n'y ait pas de trafic, renforcées par les caractéristiques historiques de ce tunnel du Mont-Cenis, qui date du XIXème siècle.

Désormais, le trafic du tunnel  repart petit à petit. Il aura son utilité et nous ne l'abandonnerons pas. Mais jamais cette ancienne infrastructure ne permettra une croissance significative du fret ferroviaire.

Portail du tunnel du mont-Cenis

L'entrée du tunnel du Mont-Cenis, côté Fréjus.

Pourtant, RFF a investi énormément d'argent sur l'ensemble de la ligne de cet ouvrage, entre 300 millions et 1 milliard d'euros selon les sources, afin de la mettre au gabarit pour permettre la circulation des marchandises. Le document européen de référence sur le corridor n°6 classe la ligne historique conforme aux normes et apte aux transferts de marchandises sur l'ensemble de l'axe européen est-ouest.  N'y a-t-il pas un paradoxe de rénover cette ligne puis de ne pas vouloir donner la priorité à l'exploitation de celle-ci pour le fret de marchandises ?

Je ne regrette pas d'avoir effectué ces travaux, car le tunnel de base Lyon-Turin n'est pas encore fait. Il faut au moins une quinzaine d'années avant qu'il soit opérationnel. Certes, il n'y a pas beaucoup de fret qui passe actuellement par-là, mais il y a des voyageurs.  Le tunnel était en danger, et risquait de fermer. La survie de cette infrastructure était en jeu. Ce n'est donc pas un investissement pour faire joli, mais résulte d'un souci de sécurité. Par ailleurs, nous avons effectué ces rénovations pour améliorer le gabarit de la voie afin de faire passer l'autoroute ferroviaire, dans le but de démontrer qu'il pouvait fonctionner. Ce sont les deux motivations.

Mais même quand le nouveau tunnel sera en service, l'ancien gardera son utilité. À long terme, il y aura une gestion complémentaire des deux, d'où la nécessité de ne pas laisser le tunnel actuel être menacé de fermeture.

Aujourd'hui, l'autoroute ferroviaire donne partiellement satisfaction, mais avec une capacité limitée. Cette année, il y a eu quinze jours de grève, ce qui a compliqué la situation. Ce n'est pas acceptable pour les transporteurs.

Réseau Ferré de France accorde des concessions à des entreprises pour gérer cette activité. RFF a-t-il une responsabilité dans le fait de ne pas assurer l'efficacité de ce service ?

Pour que cela marche, il faut que tout soit minuté. Le niveau d'exigence est très élevé. Quand il y a 30 minutes de retard pour les trafics ou des jours de grèves, c'est insupportable. Les transporteurs se détournent alors de ce mode. RFF accorde l'exploitation, mais distribue également les sillons. Le problème aujourd'hui est que les trains de marchandises ne sont pas prioritaires par rapport à ceux des voyageurs.

Pour désengorger le trafic, et ainsi permettre de charger ailleurs les camions sur les trains, d'autres plateformes existent. Notamment celle d'Ambérieu (Ain), qui n'est pas utilisée. Pourtant, l'accord de Rome de 2012 impose aux deux Etats d'initier la dynamique de report modal. Dans cette logique, comprenez-vous que ce site ne soit pas encore exploité ?

Un appel d'offres est en cours pour désigner un opérateur. Les discussions se poursuivent depuis plusieurs années avec l'Italie. Nous n'avons pas voulu lancer cet appel tant que les travaux n'étaient pas terminés. Depuis, il y a des discussions pour faire aboutir cette concession. Mais cette dernière nécessite un financement public, c'est à dire des subventions afin qu'elle fonctionne et qu'elle soit économiquement à l'équilibre.  Il faut donc se mettre d'accord avec l'Italie, la France et l'Europe. Il faut enclencher le processus. Il faut ouvrir le jeu de la concurrence.

Le grand tunnel ne fonctionnera pas si nous n'arrivons pas à mettre en place une autoroute ferroviaire plus efficace et plus longue.

L'argumentaire du projet a changé depuis une trentaine d'années. Certes, il y a de nouvelles réalités. Mais il y a aussi l'impression que la rhétorique évolue seulement pour justifier davantage ce projet. L'évolution du discours est paradoxale. Normalement, lorsque les initiateurs se lancent dans une telle initiative, ils savent précisément pourquoi ils souhaitent la réaliser...

Certains pensent qu'il y a des motivations personnelles ou des intérêts cachés. Je ne pense pas que les politiques poussent ce projet pour se mettre en avant. Quel intérêt auraient-ils à soutenir cette infrastructure coûte que coûte, alors qu'elle serait inaugurée lorsqu'ils ne seront plus là ?

Certains suggèrent que le BTP est une force qui impose constamment un nouvel argumentaire pour justifier cet ouvrage. Bien sûr que le BTP est favorable au projet, mais ce n'est pas suffisant pour affirmer que ce sont eux qui poussent à tout prix le projet.

S'il y a deux forces qui poussent cette initiative, c'est l'Europe et l'Italie. Ce ne sont pas des forces occultes.

Selon les partisans du projet, et notamment vous, l'argument clef est désormais la nécessité du report modal. Quelles mesures faut-il prendre pour inverser le rapport du trafic de la route vers le rail ?

Nous pouvons et devons regarder les exemples suisse et autrichien. Ces deux pays jouent à la fois sur le rail et sur la route, sur l'aspect coût économique et sur l'aspect qualité de service (temps de parcours et performance des trains). Sur l'économie, la Suisse a mis en place une tarification multimodale, avec l'augmentation des tarifs routiers. Cet argent est ensuite investi dans les infrastructures ferroviaires. Il faut également soutenir financièrement le fer pour le rendre compétitif.

L'objectif doit être de permettre les massifications de marchandises de telle façon que le coût rapporté à la tonne devient compétitif par rapport à la route. Il faut donc des trains longs et rapides.

Ainsi, lorsque les transporteurs effectuent une comparaison économique, il devient alors plus avantageux pour eux d'utiliser le train pour traverser le pays. C'est imparable, car nous sommes dans un domaine régulé : l'État a le pouvoir de prendre des décisions, notamment en matière de péage et de financement.

Pourtant ce schéma idéal paraît loin des préoccupations des décideurs. La France semble manquer de volonté politique pour enclencher le report modal. Des exemples simples peuvent être avancés : la baisse de la tarification aux péages routiers du Fréjus et du Mont-Blanc, l'arrêt de l'écotaxe, l'ouverture du tube de sécurité aux routiers dans le tunnel du Fréjus, etc. Comment accueillez-vous ces signes-là ?

Le symbole n'est pas bon. Mais je pense que les politiques s'en rendent compte. La Suisse est allée très fort pour imposer le report modal, notamment car elle finance à 100 % ses infrastructures. Nous sommes aidés par l'Europe. Alors, nous ne sommes pas obligés d'en faire autant que les Suisses. Il y a des différences de culture et de situation politique entre ces deux pays.

Il faut que la France montre -dans la conduite de ses affaires politiques - que le report modal n'est pas simplement un mot sympathique. Je rappelle que notre pays s'est engagé dans la convention alpine qui fixe des objectifs très précis sur cette question.

Vous construisez une infrastructure dont le but est qu'elle soit utilisée. Vous avez donc un rôle de prévention quant à l'utilisation de celle-ci. Quels sont les moyens de pression de LTF sur la politique française de report modal ?

Le plus difficile est d'avoir une politique de transport dans la région Alpine et en France qui soit cohérente. C'est difficile à faire, car il faut beaucoup de volonté. Lorsqu'il y a une catastrophe comme celle du Mont-Blanc, la pression populaire est très forte et est prête à accepter beaucoup de choses pour supprimer les camions de la vallée de Chamonix. Mais quand il y a une longue période de calme, les Français changent. Ils ne sont pas toujours cohérents entre ce qu'ils veulent et ce qu'ils sont prêts à accepter comme efforts. L'exemple de l'écotaxe va dans ce sens. Ces sujets sont particulièrement difficiles en France.  La Suisse est cohérente et exprime cela de façon démocratique.

Le cheminement français requiert du courage, de la persévérance et une vision à long terme. De ce point de vue, la crise actuelle ne favorise pas les choses. Pour faire ce report modal, il faut agir sur de nombreux leviers dont certains ne sont pas faciles à faire accepter.

Mais il faudra bien l'imposer, car le tunnel n'est pas fait pour aller de Lyon à Modane ! Il est fait pour l'Europe, et la concentration des camions dans les vallées alpines n'est pas durablement acceptable.

Êtes-vous inquiet ?

Je ne dirai pas ce mot. Je mets mon espoir dans l'Europe. Elle joue un rôle déterminant dans cette affaire. L'élargissement de l'Union renforce le sens de cet itinéraire. Rappelons qu'elle finance 40 % du projet. L'Italie est très engagée dans ce projet. La France n'a pas le même intérêt que son voisin Alpin et l'Europe dans cette histoire. Elle est prise par ses priorités, et n'est donc pas autant passionnée par cette liaison que ses partenaires. La France à des projets plus importants que le Lyon-Turin. Sauf que nous ne sommes pas seuls. Les deux autres partenaires ont beaucoup de volonté et mettent beaucoup d'argent. La France participe a hauteur de 25 % du financement alors que le projet se construit majoritairement dans l'Hexagone. Étant financé à ce point par l'Italie et l'Europe, j'estime que nous pouvons réaliser ce projet, même si celui-ci n'est pas la première priorité française.

Mais la dynamique européenne n'est pas suffisante. Ce n'est pas l'Italie ou l'Europe qui va faire la politique de report modal en France. C'est le gouvernement français. Il me semble que le Premier ministre a bien dit les choses. Ce projet ne peut être porté qu'à ce niveau-là de responsabilité.

D'ici fin février 2015, la France devra engager sa participation financière afin de répondre à l'appel d'offres européen dans le but d'obtenir le cofinancement de l'UE. Cet engagement est-il en bonne voie, selon vous ?

Je crois en la parole de la France. Quant à Lyon-Turin Ferroviaire (LTF), nous sommes à notre place. Nous avons été à l'heure dans toutes les étapes concrètes. Nous sommes parfaitement au rendez-vous dans un contexte où,- je le regrette- on donne l'impression de traîner les pieds. Si j'ai un message politique à faire passer - ce qui n'est pas mon rôle, il serait le suivant : si nous devons réaliser ce projet, ne le faisons pas en donnant l'impression de participer à reculons. La France peut avoir un rôle de promotion du report modal en Europe, autant que ses voisins alpins.

Nous n'osons plus porter ce message à cause des problèmes budgétaires que l'on connait, alors que nous avons les compétences pour le faire. Les dernières déclarations du Premier ministre allaient dans le bon sens : celui de créer un report modal européen ambitieux. Il a affiché clairement les ambitions de la France dans ce domaine.

Selon des informations divulguées dans la presse, LTF serait liée à des entreprises en rapport avec la mafia calabraise. Des députés européens ont également saisi l'Office européen antifraude (OLAF). Ils fourniraient la preuve que Maurizio Bufalini, l'actuel directeur général de Lyon Turin Ferroviaire (LTF), a signé dans le passé un contrat avec deux sociétés liées à la mafia calabraise. Comment réagissez-vous à ces accusations ?

Nous nous soumettons à toutes les règles. Les entreprises en questions (Italcoge et Martina, Ndrl) ont été soumises au contrôle antimafia qui n'a rien révélé. Nous avons donc travaillé avec elles. Au bout d'un moment, l'un des dirigeants est arrêté par la police, pour des faits qui ne sont pas liés à notre contrat. On nous met en cause en nous disant qu'on le savait et que c'est pour cela que l'on a choisi ces entreprises ?

Ce que je trouve étonnant, c'est que certains opposants qui combattent le projet attaquent pour cela les personnes. Ils se trompent de cible. Ils peuvent contester nos arguments, mais ces accusations prennent pour cibles des personnes. Ce sont les juges qui sont susceptibles de juger ces faits. Les parlementaires européens ne sont pas venus nous contrôler. Ils ont saisi un organisme (OLAF, Ndrl). Laissons celui-ci faire son travail.

S'il y a des choses à contester dans la conduite de ce projet, c'est à la justice de le faire et non pas au particulier. Cette attitude met en cause l'ensemble de Lyon-Turin Ferroviaire : les ouvriers, les ingénieurs, l'ensemble des salariés, qui se sentent injustement mis en cause et menacés.

J'ai une confiance totale en Maurizio Bufalini. Si nous commettons une faute, c'est qui est possible, car nous ne sommes pas parfaits, je demande alors qu'elle soit jugée par les gens dont c'est le rôle. Ceux qui sont habilités à le faire sont nos instances de contrôles nationales et européennes.

Mais il existe aussi certainement un climat de suspicion autour de LTF, qui peut s'expliquer par certains antécédents. Le 13 février 2011, le tribunal correctionnel de Turin a condamné Paolo Comastri, alors directeur général de LTF, à une peine de prison de 8 mois, pour des faits remontant à 2004. Il a été sanctionné en compagnie de Walter Benedetto, directeur des travaux à la même époque pour "trucage d'appel d'offres".

Ce sont des faits qui se sont passés il y a dix ans !  À cette époque, en 2004, un membre de l'équipe a commis une erreur. Il s'avère que dans les appels d'offres, une entreprise a eu une faveur. Et au final, cette entreprise n'a pas été choisie par LTF.

Le marché a été passé avec une autre entreprise choisie par la commission compétente. LTF n'a donc pas eu de dommages. Il faut mesurer la faute au vu des conséquences. Le responsable a été poursuivi pour cet événement, condamné et finalement, il a quitté l'entreprise.

Comment peut-on expliquer qu'une personne, sur laquelle porte de lourds soupçons pendant plusieurs années, n'a-t-elle pas été remplacée avant, gardant ainsi, jusqu'en 2011, les délégations de signature pour les marchés, pouvant atteindre jusqu'à dix millions d'euros ?

C'est normal qu'une personne ne soit pas sanctionnée avant d'être jugée. Mais à cette époque, je n'étais pas le président de LTF. La justice a ensuite fait son travail. Devons-nous faire porter cette faute aux dirigeants actuels qui n'étaient pas là à l'époque ?

La mort de Rémy Fraisse à Sivens, en octobre dernier, a accentué la demande citoyenne de concertation sur les grands projets. Estimez-vous normal de poursuivre le chantier du Lyon-Turin alors que le débat public d'un tel ouvrage a été limité, et dont la procédure a été contestée ?

Je n'ignore pas le contexte national ni la contestation du tracé du côté de l'Italie. Mais je pense qu'en France, le projet a fait l'objet d'une consultation suffisante. Je constate, d'ailleurs, que dans notre pays, jusqu'à ces dernières années, ce projet n'a pas été contesté. Il a notamment été soutenu par les Verts. L'accord sur le tracé existe. J'observe aussi que les maires dont les communes sont traversées par le projet -et qui y sont favorables- ont tous été réélus lors des dernières municipales. On ne peut donc pas dire qu'il y a une contestation démocratique. Je ne vois pas bien le sujet, en ce qui concerne la partie française.

Qu'il y ait, par ailleurs, des mouvements nationaux et internationaux qui manifestent une opposition à l'ensemble des grands projets -quelle que soit leur nature- est un fait qu'on observe. Mais ce n'est pas en raison de ces mouvements-là que la France va décider si elle poursuit ou pas ce projet, alors que nous sommes sur des décisions politiques de niveau national, européenne. Ce n'est pas mon rôle d'apprécier si ça doit changer ou pas.

Sur le projet Lyon-Turin, les grandes options qui ont été prises ont toujours été approuvées. La dernière ratification au Parlement s'est faite avec une large majorité. Nous pouvons parler des mouvements d'oppositions qui existent, mais je pense qu'il faut aussi parler des choix démocratiques et des sanctions électorales effectuées auprès des élus.

Il faut avoir une vision plus globale et objective de ces grands projets. Ils sont différents dans leur nature. Il ne faut pas forcément mener une politique systématique "anti grands projets".

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Commentaires 12
à écrit le 21/05/2016 à 23:12
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Le TGV un outil de compétitivité pour la France ? Dans 25 ans (temps de percement minimal) que vaudront nos TGV face à un Hyperloop à 1300 km/h qui bientôt transportera du frette ? Autant prévoir des Michelines. Pourquoi ne parler que de Mafia IT...

à écrit le 25/02/2015 à 1:29
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Ca va couté aussi cher que le tunnel sous la manche et la rentabilité c est pas pour demain.

à écrit le 29/01/2015 à 22:53
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Juste une remarque, si vous lisez les propos de Du MESNIL (et le rapport DURON), le report modal avec la nouvelle version du Lyon-Turin, c'est aux environs de 2050. pensez vous qu'au nom de la santé publique et de la pollution on puisse attendre cett...

à écrit le 28/01/2015 à 23:48
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Avec la forte hausse du franc suisse et l'autoroute payante en Allemagne a partir de 2016, ce projet a une chance de se retrouver utile pour les anglais et le Benelux en traversant le nord et la champagne lorraine Alsace, tout ça sans taxe carbone !

à écrit le 28/01/2015 à 21:47
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il m'arrive de faire Lyon-Turin pour aller chez des clients dans le Nord de l'Italie. ça roule tranquille , c'est fluide. Il y a des jours où il n'y a pas grand monde. Je ne comprends pas bien l'utilité de claquer quelques milliards d'euros pour fai...

à écrit le 28/01/2015 à 21:41
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Est-ce vraiment une priorité ? Est-ce même utile ? Le fret ferroviaire en France est mort, nous sommes déjà saturés de camions qui vont de Pologne au Portugal. Faut-il augmenter le trafic avec des cargaisons venant d'Italie ? Si elles peuvent passer ...

à écrit le 28/01/2015 à 19:52
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Deux pays en récession, stagnés, au bord de la faillite et avec des rêves faramineux qui difficilement verront le jour. Bin bon, faut pas rêver mais si ce n'est qu'un rêve, alors allumons la mèche…. :-))

à écrit le 25/01/2015 à 21:15
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Quelques pierres à la réflexion : 1) Il faudrait nous expliquer en quoi la traversée de convois ferroviaires sur de longues distances, entre Lyon et Turin en l'occurrence, est un facteur de développement économique et social pour les régions travers...

le 29/01/2015 à 10:19
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Le boulet du fret ferroviaire en France c'est la SNCF. Souvenez-vous il fallait acheter des centaines de locomotives pour développer le fret ferroviaire, ce qui a été effectué : résultat trafic en chute libre. Il fallait rénover le tunnel ferroviai...

à écrit le 22/01/2015 à 19:03
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L'article ne fait pas référence aux tunnels suisses LOTSCHBERG : ouvert en 2007. 34,5 Km de tunnel. Coût Bâle Chiasso sur rail 200€ pour 300Km parcourus sur rail pour les camions. Train à 280Km/H dans le tunnel. GOTHARD : ouvert en 2016. 57 Km. ...

le 29/01/2015 à 10:56
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Jusqu'à preuve du contraire, ce n'est pas "les écolos" qui bloquent le chantier. cela fait 25 ans que le projet est lancé et on est incapable de trouver les financements. En 2014, LTF devait fournir un expertise chiffrée, et validée par un tiers ind...

le 29/01/2015 à 22:48
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Juste une remarque, votre vision du Lyon-Turin avec le report modal, c'est aux environs de 2050. Peut'on attendre cette date pour mettre les camions sur le train. La pollution, c'est maintenant pas dans 30 ans

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