Epoux Pinçon-Charlot : "Les riches composent une oligarchie dévastatrice"

Monique et Michel Pinçon-Charlot, directeurs de recherche au CNRS, anatomisent la richesse et une caste à leurs yeux « prédatrice », dissèquent les comportements d'un groupe social « endogame et uniforme », d'une oligarchie « tout entière » concentrée sur la sanctuarisation de ses privilèges et coupable de « terribles violences ». Une lecture sociologique certes conditionnée par l'idéologie anticapitaliste mais qui révèle une réalité et des mécanismes emblématiques des blocages et des inégalités qui fossilisent la société.

 Acteurs de l'économie: Sociologie de la bourgeoisie (La Découverte, 2007), Les ghettos du Gotha (Points, 2010), Le Président des riches (La Découverte, 2011), et La violence des riches (La Découverte, 2014) : depuis trente ans, vous « étudiez » les riches. Et, si l'on en juge au ton de vos travaux, ne les aimez pas. Pourquoi ?

Monique et Michel Pinçon-Charlot : Nous travaillons en qualité de sociologues, pas de « psychologues du social ». Nos études explorent les rapports de classes et de domination dans un contexte français et mondial qui fait un constat unanime : les plus riches se sont approprié non seulement tous les pouvoirs mais aussi toutes les ressources. Le degré de prédation a atteint un niveau inédit, et jamais auparavant il n'avait généré dans son sillage une telle violence et une telle rapacité. Nous n'avons pas à aimer ou à détester les riches : simplement nos travaux démontrent leur malignité.

En 2014, qu'est-ce qu'être « un riche » ?

Au contraire de la pauvreté que l'on peut quantitativement circonscrire à partir du seuil ad hoc, la richesse est une notion complexe à définir, car elle englobe des réalités, des manifestations, même des volumes extrêmement disparates. Les dispersions à l'intérieur du cercle des riches sont considérables : dans le seul classement des grandes fortunes françaises, établi chaque année par Challenges, le facteur de multiplication aux deux extrémités du spectre est d'environ 350. Avec 74 millions d'euros de fortune personnelle, le dernier est très loin des 27 milliards de Bernard Arnault. Mais bon, cela lui assure quand même de faire partie des riches...

Établir ce qu'est un « riche » réclame de travailler surtout le milieu dans lequel il évolue. Ce milieu, dit de la « grande bourgeoisie », constitue un groupe social exclusif, claquemuré, marqué par une systématique recherche de « l'entre soi ».

Quelle interprétation sociologique cette endogamie et cette consanguinité portent-elles ?

La géographie des domiciles principaux - typologie des quartiers - ou secondaires - lieux de résidence ou de vacances - constitue une grille de lecture pertinente, mais c'est l'analyse des annuaires et autres bottins qui illustre le mieux la recherche presque mécanique du regroupement. Le principe de la cooptation est automatique, et ainsi les membres d'une caste définissent eux-mêmes les frontières - matérielles, comportementales, ataviques, professionnelles, etc. - du groupe. La composition des rallyes est, à ce titre, symptomatique : les parents sélectionnent le type d'enfants ou d'adolescents qui, à leurs yeux, peuvent fréquenter les leurs lors de soirées par ailleurs terrains de rivalités et de surenchère. À notre connaissance, il s'agit là du seul groupe social qui fixe les critères - identitaires, sociaux, pécuniaires, ethniques - à même de délimiter le périmètre d'acceptation d'un public, en l'occurrence très jeune. L'enfant du gardien d'immeuble, aussi brillant, séduisant, éduqué soit-il, en est de facto écarté.

MM Pinçon-Charlot

L'opinion publique entretient à l'égard des « riches » un rapport antagoniste. Tour à tour elle les vilipende, les espère, les jalouse, les couronne... L'item richesse est adoré, le vocable riche est abhorré. En d'autres termes, ce que font les riches est admiré, ceux qui font la richesse sont détestés. À quelles explications psychiques, sociologiques, sociétales peut-on lier cette ambivalence ?

Dans une société où il est roi, l'argent éveille les rêves, les aspirations ou les motivations les plus élevés. Qu'il s'agisse des grandes dynasties fortunées ou des heureux gagnants au Loto - dans leur immense majorité issus de milieux très modestes -, l'argent fait unanimement le bonheur. Et pour ces derniers, auxquels nous avons consacré des études, croire qu'ils sont inadaptés à l'irruption subite d'une telle manne est fallacieux : s'ils sont correctement accompagnés, ils sont tout à fait en mesure d'intégrer cette nouvelle richesse dans leur être social et leurs valeurs de classe. Leur passion du camping demeurera inchangée : simplement au lieu de coucher sous une tente de fortune dans un établissement bas de gamme, ils logeront dans un luxueux camping-car stationné dans un lieu plus gratifiant. En revanche, les riches désignent « aussi » et même surtout une classe sociale prédatrice, qui bâtit sa fortune en exploitant le travail d'autrui...

L'écartèlement de ses jugements auquel tout citoyen est exposé est-il la manifestation d'une relation « névrosée » à la richesse ?

L'auscultation des mécanismes de la richesse et du comportement des riches apprend considérablement sur la santé et les ressorts de la société. Lorsque nous nous sommes pour la première fois intéressés au sujet, en 1986, nous avons exploré ses manifestations ostentatoires - phénomène des chasses à courre, habitations, etc. Maintenant que nos travaux nous plongent au cœur de l'oligarchie, c'est-à-dire là où s'exerce véritablement le pouvoir des riches, nous faisons le constat que le support et la typologie de la richesse se sont transformés : la grande bourgeoisie de type industriel, paternaliste, enracinée dans son territoire, a laissé place à une richesse financière, spéculative, mondialisée. La première possédait des vertus certes perfectibles mais incontestables ; la seconde s'en est affranchie.

Un symbole est celui de la Vallée de la Meuse, dans les Ardennes, que nous avons longuement étudié. Elle était dominée par l'industrie métallurgique, et dans ces communes plutôt de taille modeste patrons et ouvriers cohabitaient harmonieusement. Les premiers, élevés dans le « jus », connaissaient particulièrement le métier et travaillaient au quotidien dans les bureaux ou même les ateliers, ce qui conditionnait leur légitimité aux yeux des seconds. Puis les crises se sont succédé, plusieurs patrons n'ont pu sauver leur entreprise faute de soutien des banques et ont été ruinés, d'autres se sont tournés vers des fonds d'investissement qui les ont dépouillés de leur trésorerie, ont spéculé sur les actifs immobiliers, ont asséché les investissements et donc condamné l'avenir. Certains de ces fonds, notamment américains, se sont même enfuis.

Ce qui fait véritablement différence entre hier et aujourd'hui dans la relation entre riches et pauvres au sein du travail, c'est qu'il y a encore peu il y avait justement des relations. Parfois tendues ou même conflictuelles, elles avaient le mérite d'exister, c'est-à-dire de permettre le maintien d'un lien humain grâce auquel le travail, la communauté de travail, l'identité dans le travail, et l'avenir au travail avaient un sens. Dorénavant, les sphères de décision sont devenues si inaccessibles et donc si invisibles que les salariés, dépossédés de repères, s'en trouvent « déboussolés ». Et cette absence de visage aggrave l'inacceptation de décisions elles-mêmes souvent irrationnelles et incompréhensibles. La notion d'appartenance s'étiole, la motivation disparaît puisqu'on ne sait plus pour qui ni pour quoi on se lève chaque matin pour rejoindre l'atelier. Le sens même du travail s'évanouit. Les ouvriers ont été dessaisis de leur histoire, leur fierté de classe s'est évaporée, ils sont devenus des marchandises, des variables d'ajustement destinées à rationaliser « coût du travail » et « coût du capital ».

L'appréciation des riches varie significativement selon les cultures et les histoires. Dans les pays anglo-saxons, et particulièrement aux États-Unis, les riches quels qu'ils soient sont reconnus. La France continue de regarder les siens dans le miroir de la Révolution de 1789 et dans le prisme marxiste...

Il ne faut pas croire qu'aux États-Unis il soit si aisé de créer des fortunes spontanées. Certes, les potentialités sont bien plus grandes qu'en Europe, mais elles aussi subissent les obstacles ou les découragements perpétrés par une classe bourgeoise très active. Outre-Atlantique règne depuis plusieurs générations une aristocratie de l'argent, confinée dans les mêmes grands clubs ou élevée dans les mêmes filières scolaires qu'en Grande-Bretagne ou en Suisse.

La sociologie de Bourdieu ou la philosophie de Foucault en furent emblématiques dans leurs domaines respectifs : en France le domaine des sciences humaines est celui de la contestation, portée par des esprits au minimum critiques et plutôt révolutionnaires voire radicaux. Aux États-Unis, cette conception de la recherche est inexistante. Qui trône en tête du hit-parade de l'édition ? Thomas Piketty... Ses analyses et ses propositions ne manquent pas d'intérêt, mais l'économiste est dans le système. Ainsi ses récents travaux ambitionnent de réduire les inégalités mais nullement ils n'interrogent les voies pour changer de paradigme. En cela, il est - malgré lui ? - complice de la classe dominante tout entière mobilisée pour consolider le système. De notre côté, parce que justement nous sommes dans la dénonciation radicale dudit système plutôt que dans la correction de ses dérives, nous sommes catalogués « militants » et étiquetés « marxistes ringards » ? Peu importe. Et est-ce moins glorieux que les militantismes de la grande bourgeoisie, des élites, ou du néolibéralisme ? « Notre » militantisme, lui au moins, ne précipite pas la planète et l'humanité à leur perte...

MM Pinçon-Charlot

Dans la société, les digues apparentes de démarcation ont disparu, laissant place à une grande porosité des « possibles » et faisant culminer le rêve d'une richesse matérielle en réalité inatteignable et réservée à des cercles endogames et cloisonnés - qui d'ailleurs jouent de cette ambiguïté pour exercer une domination aujourd'hui insidieuse et hier davantage visible. La frustration et, en cascade, l'amertume, l'aigreur et le dégoût s'imposent...

Ce que les centaines de débats orchestrées à l'occasion de la publication de La Violence des riches et, auparavant, Le Président des riches ont révélé au sein de l'assistance, c'est bien davantage que ces sentiments-là. Du sentiment d'impuissance à l'écrasement ou au désespoir, la sidération et la tétanisation dominent.

Mais paradoxalement, jamais l'opinion publique n'a semblé autant apathique face à ce que vous désignez d'inacceptable. La mobilisation collective décline de manière inversement proportionnelle à l'aggravation des écarts entre riches d'un côté, classes moyennes, modestes et pauvres de l'autre. Comment, au plan sociologique, explique-t-on une telle résignation ?

Les principaux responsables sont les médias, qui œuvrent avec méthode à « empêcher » que des réflexions ou des convictions subversives s'imposent sur les plateaux de télévision. Est-ce bien étonnant à la lecture des liens entre les caciques du capitalisme français et les grandes enseignes des presses écrite, TV ou radio ? À qui appartiennent Les Échos ? Bernard Arnault. Le Monde ? BNP [Bergé, Niel, et le banquier Pigasse]. TF1 ? Martin Bouygues. Le Figaro ? Serge Dassault. Europe 1 ou Paris-Match ? Arnaud Lagardère. La liste est sans fin... Même le service public muselle les voix détonantes.

Ce climat concourt à étouffer les espérances, à compresser le champ des possibles, finalement à accepter l'inacceptable. La désillusion s'installe et la combativité s'essouffle. Même le sujet si déterminant des inégalités semble relégué. Chacun est sans réaction devant un aréopage politique dominé par la promotion Voltaire de l'ENA, et dont les profils issus de la classe ouvrière sont absents. Les mêmes personnes ne croient plus en ce cénacle et sont résignées devant lui.

Cette situation et ces déséquilibres participent-ils vraiment à affaiblir la société ?

Les symboles sont très importants. Ils frappent les esprits, favorablement ou défavorablement. Or qui est aux commandes du MEDEF, « rédacteur » du généreux Pacte de responsabilité et de « propositions » ultralibérales et profondément antisociales même régressives pour créer soi-disant 1 million d'emplois ? Pierre Gattaz. Sa responsabilité professionnelle, c'est-à-dire autre que syndicale ? Président du conseil d'administration de la société Radiall. Laquelle génère de substantiels profits, emploie environ 2 500 salariés et a créé elle-même 69 postes... presque tous intérimaires et au Mexique ! Quelle image dans un pays gangrené par un chômage record qui affecte plus de 5 millions de personnes ! Quelle violence symbolique à l'égard des millions de travailleurs pauvres ou dont le pouvoir d'achat s'érode inexorablement !

Quel exemple dévastateur alors que des pans entiers de notre savoir-faire historique, comme la recherche scientifique, voient les doctorants s'exiler ou même des disciplines disparaître faute de moyens pour rétribuer correctement les premiers et financer les secondes ! Sans compter les effets collatéraux à plus long terme, comme la dégradation de l'hygiène de vie et la précarisation du système de soins par la faute desquelles les phénomènes d'obésité, d'alcoolisme, de diabète, de tabagisme, etc. progressent. Enfin, la marchandisation des dispositifs sociaux et de retraite fait son œuvre : leur privatisation enrichira les donneurs d'ordres et réduira le périmètre des bénéficiaires. Pour ces seules raisons, l'interprétation sociologique de cette situation est catastrophique. Nous sommes bel et bien face à une immense casse sociale.

Certes, mais l'examen des origines de cette casse sociale exige d'être exhaustif. Aurait-on recours à la privatisation des dispositifs sociaux si le scandale des privilèges accordés aux régimes spéciaux, si l'absentéisme record dans les collectivités territoriales, si l'envergure des fraudes à la Sécurité sociale ou à Pôle emploi, étaient jugulés ? Sans doute pas. « Être de gauche », n'est-ce pas aspirer à l'équité et à la justice sociale de telle sorte que l'ouvrier précaire dans la petite entreprise de métallurgie ne soit pas spolié par les avantages indus des cheminots ?

Nos lunettes sont braquées vers le haut de la pyramide, pas vers le bas. Nous nous focalisons sur les privilèges, considérables, que l'élite et les rentiers ont capturés à leur seul avantage. Stigmatiser les cheminots n'a pas de sens une fois ces privilèges mis en perspective. Diviser pour mieux régner n'aboutit à rien. Seule une politique de meilleure répartition des avantages permettrait la justice.

MM Pinçon-Charlot

N'êtes-vous pas là dans une posture intellectuelle, morale, politique, idéologique caricaturale si l'on s'en tient au postulat d'impartialité qui doit dicter toute exploration scientifique dans le domaine sociologique ?

Notre pensée est animée par un marxisme basique, mais c'est la réalité des faits qui la motive : la production est assurée par des salariés injustement rétribués par rapport à leur travail et inéquitablement rémunérés par rapport aux capitalistes, en premier lieu actionnaires. Le taux de croissance moyen des dividendes s'établit à 20 %, celui des salaires progresse entre 0 et 2 %. Les premiers s'enrichissent substantiellement grâce au labeur des autres. Est-ce normal ?

... Sauf que rien n'assure jamais à l'actionnaire que les risques de ses placements seront toujours confortablement récompensés. Et sans le risque de l'actionnaire, il n'y a pas d'entreprise, donc pas d'emplois...

Mais est-il acceptable que dans l'ensemble les revenus du capital investi enflent bien plus vite que la productivité ? Est-il tolérable que les fruits de la croissance d'une entreprise soient répartis de manière aussi inégale ? Pour toutes ces raisons, nous considérons que les gains en faveur du capital constituent bien plus qu'un prélèvement sur le travail : un vol...

Votre ouvrage dénonce la « violence des riches », mais pour cela emprunte des méandres rhétoriques eux-mêmes violents. En premier lieu, vous auscultez les riches sans distinction : héritiers et rentiers ou créateurs d'entreprise, philanthropes sincères ou cyniques, dirigeants-managers d'entreprises du CAC 40, etc. Et vous concluez à la condamnation du principe même de la richesse. Or, il existe des « riches exemplaires », toute richesse n'est pas indue, leur emploi et leur destination donnent même du sens à certaines richesses. Créer la confusion de l'être et de l'avoir, admonester indistinctement tous les riches sans considérer la singularité humaine de chacun d'eux, n'est-ce pas déplacé et même dangereux ? « Parce qu'on est riche on est mauvais » : c'est de raccourcis analogues niant l'individu dans son unicité que naissent les tyrannies les plus barbares...

Les riches constituent un sujet d'observation passionnant et sont d'un intérêt sociologique immense. Ce dernier permet de lire la société dans un prisme très utile, car en filigrane sont interrogés moult sujets majeurs : le lien, le vivre-ensemble, le rôle de l'État, les mécanismes libéral et capitaliste, la mondialisation, etc. Pour autant, nous devons effectivement veiller à établir une franche différence entre la position sociale et l'individu. Et accepter que parmi ceux-là mêmes que nous étudions d'aucuns sont sensibles, chaleureux, attentifs, ouverts, et même empruntent des trajectoires ou manifestent des engagements personnels extrêmement respectables - notamment lorsque, souvent dans la discrétion et la pudeur, ils accomplissent de remarquables engagements altruistes, comme ce grand banquier devenu visiteur de prison. Certains d'entre eux sont même venus dîner ici et ont noué d'affectueuses et sincères relations avec nous !

Vos observations peuvent s'entendre à la seule lecture de cet essai. Mais il arrive en bout de chaîne d'une collection, entamée en 1986, qui traduit un travail en profondeur, cohérent et pluriel de la problématique de la richesse. Et nous assumons pleinement une posture éditoriale, intellectuelle et morale qui a enflé sous la présidence, en la matière indécente, de Nicolas Sarkozy - en témoignent ses collusions avec les grands patrons dès la soirée du Fouquet's - puis avec le constat que la violence des rapports sociaux de domination sous le joug néolibéral elle aussi empirait. La somme de ces travaux fait la preuve qu'au-delà de la grande hétérogénéité des profils, des ascendances, des trajectoires professionnelles, des convictions personnelles, les riches partagent une même détermination à défendre collectivement leurs seuls intérêts contre ceux de l'immense majorité de la population.

Mesure-t-on ce que les « années Sarkozy » ont bouleversé dans la désacralisation et la glorification ostentatoire de la richesse pécuniaire et, consubstantiellement, dans l'acceptation des rouages de domination, de hiérarchisation, et de vassalisation qui lui sont associés ?

Cet incontestable état de fait a contribué en premier lieu à un désenchantement. Plus que la soirée au Fouquet's, être parti se reposer sur le yacht de Vincent Bolloré alors qu'il avait annoncé se retirer dans un sobre monastère pour « réfléchir au sens de sa fonction », a été un symbole dévastateur. Les cinq années de son mandat ont été une succession de ce que le capitalisme débridé peut afficher de plus délétère : un cynisme sans limites, le mensonge et l'instrumentalisation permanents, le culte du succès, le mépris pour les plus faibles, la collusion avec les industriels les plus riches, la vision manichéenne de la société - gagnants contre perdants, vertueux contre assistés, etc. Et enfin, la contestation systématique de ce qui fait obstacle à la victoire des plus puissants : les institutions de la République. Cette alchimie, que l'on peut assimiler à une bascule idéologique, a participé aussi à décomplexer les dominants les plus offensifs. Bref, la France a vécu dans une grande violence dont les citoyens n'ont pas mesuré toute la portée.

MM Pinçon-Charlot

Comme beaucoup de citoyens aveuglés par les dogmes devraient s'y résoudre, ne concédez-vous pas secrètement : « Nous sommes prisonniers de notre conviction marxiste et de la doctrine égalitariste par la faute desquelles nous ne savons plus regarder l'autre, en tant qu'être humain, dans la vérité de ce qu'il est indépendamment de l'habillage social » ?

Une réalité, commune à l'immense majorité de ces « riches sympathiques », n'est tout simplement pas acceptable selon notre échelle de valeurs : vivre et continuer de s'enrichir du travail d'autrui. Mais l'exigence intellectuelle et morale nous garantit de ne pas porter de jugement sur ce que la personne est intrinsèquement - et d'ailleurs cette discipline de segmentation devrait résonner très au-delà de notre seul travail. L'une des aptitudes majeures de tout sociologue est l'empathie. Mais cette empathie est toujours ambivalente, car à un moment elle se heurte aux systèmes auxquels nos interlocuteurs sont assujettis. Ces systèmes ultra-concurrentiels et ultra-conflictuels fondés sur l'intérêt personnel des plus puissants d'une part brutalisent et asservissent les moins armés, d'autre part individualisent, hiérarchisent et font voler en éclats le socle commun de la société.

Autre écart sémantique : être « riche » rapporte à une grande variété de sources de richesses, certaines immatérielles et vertueuses, être « un riche » enferme dans une conception exclusivement pécuniaire de la richesse. Et c'est l'emploi de l'article défini qui jette l'opprobre sur le destinataire...

Certes. L'amour, l'amitié, l'humain, le lien, la connaissance, la culture, le vivre-ensemble, constituent de « belles » richesses. Mais la richesse est comme un iceberg dont la partie émergée est purement pécuniaire et la partie immergée, de loin la plus volumineuse, est d'une grande variété. La richesse est multidimensionnelle : elle est économique, mais aussi culturelle et sociale, et ces manifestations de la richesse matérielle se nourrissent, se consolident, se servent mutuellement. L'interdépendance est totale. Pourquoi le marché de l'art a-t-il explosé ces quinze dernières années ? Parce que de riches industriels, François Pinault en tête, l'ont décidé, c'est-à-dire qu'ils y ont décelé un moyen nouveau de spéculer, de s'enrichir mais aussi de marquer un peu plus leur territoire social et leur singularité au sein de l'aréopage. Ce jeu des richesses aux origines multiples possède un autre avantage : il permet à ses bénéficiaires de quadriller l'échiquier décisionnel et d'occuper tous les pôles dominants de l'activité économique et sociale : médias, politique, finance...

Les richesses humaines qui « font » émotion et vivre-ensemble - art, solidarité, générosité, etc. - peuvent-elles résister aux puissantes propriétés, pour certaines dégradantes, de la richesse pécuniaire ?

Malheureusement non. Il n'y a pas de place pour le bonheur authentique, altruiste, désintéressé, collectif dans le système capitaliste.

La collusion des élites et des richesses constitue-t-elle une oligarchie ?

Absolument. Dans la classe dominante, le conflit d'intérêts est omniprésent. Chaque fois qu'en qualité de sociologues nous avons été conviés à partager des moments conviviaux « entre riches », c'est cette occupation transversale, structurée, tentaculaire de tous les lieux de décision qui nous a le plus frappés.

Enfin, à celles économique, culturelle et sociale, il est important d'ajouter une quatrième richesse, dite « symbolique ». Elle expose ou consolide l'apparence, par laquelle « on est » ou « on n'est pas » visiblement riche. Ainsi l'immense majorité des riches sont minces et élégants, sont coiffés d'une certaine manière, arborent des signes reconnaissables - cigares, certaines marques de voiture - et emploient des codes qui font leur identité commune et démontrent ostensiblement le bien-fondé de leur patronyme familial. Lors des dîners ou des manifestations auxquels nous étions invités, toujours nous étions présentés selon notre capital intellectuel - en l'occurrence directeurs de recherche au CNRS. Aux autres, tous instantanément reconnaissables contrairement à nous, il était seulement fait mention de leur nom : c'était suffisant pour les qualifier dans la caste.

En condamnant les « patrons » d'entreprise, le système libéral, la caste des riches, la mondialisation et l'Europe libérale, en victimisant la classe ouvrière que vous dressez contre celle des dirigeants « tous pourris », en idéalisant une fonction publique pourtant faillible, êtes-vous conscients que vous empruntez un raisonnement analogue à celui, populiste, démagogique, inepte et... violent de Marine Le Pen ?

La dimension scientifique, argumentée, corroborée, de notre travail permet de décortiquer la réalité d'une classe sociale particulière. Et elle s'oppose, en théorie, au « tous pourris » de Marine Le Pen. Simplement, on ne peut infléchir la perception commune que le public peut avoir, dès lors que les discours du leader du Front national et notre posture appellent, bien sûr selon des voies différentes, à changer en profondeur le système. On ne peut contester que des points communs existent entre nos positions respectives, mais de notre côté nous appelons à refonder une « Internationale des travailleurs contre l'exploitation » qui soit cosmopolite et accueille toutes les ethnies et tous les immigrés. Nous doutons que Marine Le Pen soit dans le même état d'esprit...

D'autre part, elle-même fait partie de l'oligarchie que nous dénonçons. Le FN est un parti politique qui doit beaucoup à François Mitterrand et que les gouvernements socialistes successifs ont choyé.

Ceux que vous qualifiez d'« opprimés des riches » - prolétariat, syndicalistes, employés précaires, chômeurs, retraités - composent désormais l'essentiel de l'électorat du Front national. Et certaines des dénonciations que vous partagez avec Marine Le Pen sont communes avec celles proférées par le Front... de gauche. Pourquoi la diatribe mélenchoniste serait-elle davantage acceptable ? Que ces mêmes électeurs soient capables de soutenir indistinctement les deux formations n'affecte-t-il pas la pertinence de votre discours ?

Le Front de gauche de Jean-Luc Mélenchon est une force radicale, en rupture avec les codes institués par la collusion UMP-PS ralliée par le Front national. Il prône un autre système économique.

Évidemment, cette situation politique et la porosité des préférences des citoyens sont embarrassantes. La responsabilité incombe en premier lieu à l'échec des politiques économiques et sociales depuis trente ans, mais aussi à la frilosité desdits citoyens pour les alternatives radicales. Enfin, sous le joug de la désindustrialisation et des délocalisations qui ont fragmenté leur corporation, les plus vulnérables ont perdu le socle commun qui faisait leur force autrefois et composait la cohérence et l'homogénéité de leurs combats.

MM Pinçon-Charlot

Mais vos ambitions ont-elles encore un sens dans la planète du XXIe siècle ? Les supports sur lesquels vous pouvez espérer les fonder sont déliquescents - intermédiations syndicales, mobilisation de la jeunesse, souffle idéologique, etc.

Bien sûr nous faisons partie d'une minorité, aujourd'hui peu visible et peu audible. Mais l'histoire accrédite notre espérance. L'aristocratie française était-elle une et indivisible au XVIIIe siècle ? Non, elle était traversée de courants divergents menés par ceux convaincus que le système monolithique ne pouvait plus durer. Et pendant la Restauration la fronde fut conduite par une génération de « vingtenaires » minés par le désespoir et l'abattement. On ne peut nier que notre civilisation traverse un creux, la puissance de l'idéologie libérale étouffant l'épanouissement des idéaux progressistes. Mais cela ne durera pas. L'explosion des inégalités ne peut se poursuivre éternellement.

Vous partagez avec Marine Le Pen une même abomination pour « la finance », d'ailleurs largement colportée au sein de la société française et parmi les hiérarques politiques de tous bords. Certes, la finance, c'est parfois spéculation, rétributions indécentes, profits immoraux et étranglement des plus faibles. Mais c'est aussi des moyens pour investir, des crédits pour innover et se développer, un maillage territorial capital, des aides substantielles, le principal levier d'action des collectivités locales...
L'État peut très bien être mandaté pour réguler, arbitrer et répartir les flux financiers...

... Mais pourquoi l'État ? Les chefs des très grandes comme des très petites entreprises ne sont-ils pas les plus habilités à décider des bonnes affectations en matière d'investissements ou de redistribution ?

Non. Les dirigeants d'entreprise ont pour objectif premier de s'enrichir personnellement et d'enrichir leur cercle restreint. Les fonctionnaires, eux, sont mus par le dessein collectif et ni ne veulent ni ne peuvent tirer un profit individuel de la manne financière.

Mais que savez-vous de l'entreprise ? Comment pouvez-vous ignorer que les chefs d'entreprise composent une mosaïque de comportements aussi hétérogène que celle de toute autre classe ? Comment pouvez-vous méconnaître la réalité, sacrificielle et altruiste, de la plupart des entrepreneurs de TPE et de PME ? On ne peut pas contester que l'entreprise peut être destructrice - y compris de valeurs et de vies ; on ne doit pas non plus nier qu'elle est, dans sa grande majorité, au service desdites valeurs et vies. Les amalgames doivent être combattus, et l'entreprise doit être aimée...

Cette exhortation, nous sommes incapables de la partager ! Loin de nous toutefois la volonté de vilipender les patrons sans distinguer parmi eux ceux qui ont un comportement humain, une contribution utile, et qui résistent à la tentation du profit excessif. Ce que nous condamnons n'est pas l'entreprise en tant que telle, mais les manipulations que la classe dirigeante perpètre à son seul avantage. La fétichisation omniprésente de l'entreprise chez les politiques, les journalistes et les patrons est là pour masquer les rapports de classes qui sont au cœur de l'entreprise.

Qu'est-ce que le grand patronat si ce n'est délocalisations, destructions d'emplois, criminalité financière, OPA hostiles, rémunérations scandaleuses et parachutes dorés iniques ? L'entreprise n'est-elle pas un objet de spéculation et l'un des vecteurs les plus puissants de reproduction des élites, via la transmission qui « fabrique » une aristocratie d'héritiers inacceptable pour qui combat l'inégalité des chances ?

Il transpire de vos travaux une nostalgie de l'organisation sociale du XXe siècle. Une nostalgie nihiliste voire malthusienne, parfois même une dénonciation du progrès. Le monde change, il s'agit non de le nier mais plutôt de se battre pour humaniser cette métamorphose...

Nous ne sommes pas dans la nostalgie, et nous n'idéalisons nullement un passé ouvrier qui ne manquait pas de grandes difficultés, matérielles, éducationnelles ou de conditions de travail, pour partie jugulées aujourd'hui. En revanche, nous fustigeons le « lavage de cerveau » que le patronat a mis en œuvre avec succès. Un exemple ? Sous le règne du baron Seillière, avoir rebaptisé le CNPF en MEDEF, et ainsi transformé le vocable patron, alors peu gratifiant, en celui d'entrepreneur, tellement plus vertueux ! Cette refondation sémantique concrétise une bagarre et même une révolution idéologiques pour que de « prédateur » le patron apparaisse « généreux bâtisseur »... et bientôt pourquoi pas « bienfaiteur de l'humanité », puisqu'effectivement lui sont associées toutes sortes de créations : d'emplois, de richesses, de bien-être... Or quelle est la réalité ? Ouvriers comme intellectuels critiques sont discrédités par cette classe dominante et ne représentent plus rien.

Pourquoi préférez-vous blâmer la richesse et « tous les riches » plutôt que d'explorer les voies d'une richesse « raisonnable », « régulée », et même « juste » ? À l'anticapitalisme et à l'antilibéralisme, ne faut-il pas préférer un capitalisme et un libéralisme « responsables » ?

Dans l'idéal, peut-être. Mais dans la réalité, c'est impossible. Chaque société fondée sur la propriété privée des moyens de production a généré d'excessives inégalités. Et la classe des élites est coalisée autour d'un unique objectif : défendre les intérêts de chaque membre de ladite classe, qui trouve auprès de ses coreligionnaires le support pour y parvenir. Et ces membres se tiennent « par la barbichette », car ils savent que toute remise en question par l'un d'eux pourrait mettre en péril l'ensemble de l'édifice. Peut-on demander à celui qui tire profit d'un système de mettre en place les mécanismes de sa propre correction ? Non. Et c'est pour cette raison que nous sommes anticapitalistes. L'histoire, surtout contemporaine, consolide chaque jour un peu plus cette voie. Pourrait-il en être autrement à l'observation quotidienne des situations qui exploitent les plus faibles, anéantissent l'humanité et la planète ? Supprimer le RSA, supprimer les seuils sociaux et de pauvreté, supprimer les allocations-chômage, supprimer le SMIC, supprimer le repos dominical, supprimer le droit de grève... : tout, dans la bouche des dominants, est suppression de ce qui assure encore aux plus faibles un minimum de dignité. Tout, finalement, est destruction des plus vulnérables.

Certains écarts de richesse, insoutenables, ont participé à morceler la société. Vous semblez croire qu'un égalitarisme - synonyme de négation de la réalisation de soi, d'anéantissement du mérite, d'effacement de l'individu au bénéfice de la collectivité, de disparition de l'entrepreneuriat - serait l'antidote. Or cette même histoire contemporaine a montré ce que l'idéologie anticapitaliste pouvait produire : l'homme était-il libre, vivait-il mieux, le système était-il plus équitable dans l'empire soviétique... ?

Certes non. La faute incombe au germe de la domination, indifférent aux situations, qui prospère lorsque s'organise la hiérarchisation des classes sociales. C'est sa prolifération qui a conduit à dénaturer le dessein originel et à produire des dérives. Pour autant, faire aveuglément le procès du système soviétique est injuste. Nous l'avons étudié dans le détail, et qu'il s'agisse d'éducation, de soin, de protection sociale, de niveau de vie, jamais nous n'y avons constaté le niveau d'inégalités que génère le libéralisme occidental. Enfin, si les libertés étaient effectivement contraintes, le spectacle qu'offre depuis la Russie capitaliste est-il plus heureux ? La grande pauvreté côtoie la richesse la plus bling-bling et la plus odieusement conquise, les dirigeants d'entreprise mafieux accompagnés de leurs gardes du corps descendent de rutilants 4 x 4 au pied desquels croupissent de vieilles et misérables veuves venues vendre un pull ou un ticket de métro. Ces mêmes femmes autrefois avaient accès gratuitement aux soins, à l'instruction, à la pratique du sport, à la culture, à la retraite.

Autre symbole de votre considération radicale de « l'argent », l'édification du musée Louvre-Lens. Vous y décelez une manifestation spectaculaire de la domination des riches, un levier d'asservissement voire de paupérisation des classes ouvrières enracinées localement. Or on peut aussi - et surtout ! - la considérer comme un outil de revitalisation de l'économie locale, et un moyen de rendre l'art accessible à des populations qui, faute d'éducation ou de moyens, en furent injustement privées...

Non. Regarder la réalité de ce musée sous cet angle relève de la naïveté. L'ensemble des études sociologiques en fait la démonstration : chaque fois qu'un édifice muséal, qui plus est spectaculaire, est bâti dans un quartier pauvre - comme ce fut le cas avec le Guggenheim de Bilbao -, ce quartier s'embourgeoise, et donc relègue, déracine, marginalise les familles qui y résidaient. En l'occurrence, que demandaient les habitants de Lens ? Des emplois. Pas de jolies façades destinées à satisfaire la curiosité des touristes puis à favoriser la prolifération d'hôtels ou de magasins de luxe et enfin à promouvoir la spéculation immobilière - c'est sur le même principe que des arrondissements de Paris autrefois populaires sont désormais réservés aux classes riches. Or si création d'emplois il y a eu, c'est en premier lieu au profit de multinationales du bâtiment ou des constructeurs de parkings ! De l'art, les Lensois ne se « fichent » nullement ; ils aspirent surtout à travailler dignement, à fonder des familles, à scolariser correctement leurs enfants, à épanouir leurs valeurs de classe.

D'autre part, cet exemple illustre bien la « violence symbolique » caractéristique des grandes formes de violence. Imposer de manière intempestive un bâtiment et des œuvres indiscutablement majestueux ne correspond pas à l'ADN d'une population locale élevée dans la dureté et le prolétariat des mines. Cette distorsion est irrespectueuse et cette incohérence est contre-productive. Ce n'est pas comme lorsque les adolescents d'un rallye parisien sont conviés à visiter l'ambassade de Grande-Bretagne aux murs de laquelle sont accrochées des œuvres d'art : ils y ont été sensibilisés dès leur plus jeune âge, et sont en intimité avec le lieu...

Mais la plus grande des violences n'est-elle pas justement celle qui se résigne ou cherche à cloîtrer les classes ? Parce qu'« on » est ouvrier, pauvre, peu éduqué, « on » devrait demeurer ouvrier, pauvre, peu éduqué, et « on » devrait renoncer à s'en extraire, à être ambitieux, au seul motif que les riches se le sont approprié ? Le fils de mineur n'a-t-il pas droit de goûter aux émotions qu'éveille un Van Gogh ou un Munch ?

Vous pensez qu'une telle situation est opportune ? De notre côté, nous considérons qu'elle enfonce les candidats à l'émancipation. Car on ne peut rien face à « l'effet milieu ». Suivre de grandes études, devenir artiste ou haut fonctionnaire à Paris lorsqu'on est fils d'ouvrier dans les bassins lorrains, place en rupture avec son milieu. Ce déracinement fragilise considérablement aux plans humain et affectif. Réussir dans son milieu d'origine - par exemple ouvrir avec succès une boulangerie lorsqu'on est fils de commis boulanger - est gratifiant ; y parvenir dans un monde totalement étranger marginalise et déstabilise dangereusement. Cette règle de classe est universelle et intangible.

À quels niveaux ce que les richesses et les pauvretés, et surtout l'amplitude démesurée des écarts, sont devenues, malmène-t-il la démocratie ?

Aux yeux de ces élites, la démocratie - comme les droits de l'homme - est un mal avec lequel elles doivent simplement s'accommoder et qu'elles contournent avec grande adresse. La réalité qu'expose la composition sociale de ces élites, y compris en politique, est que la France est sous la coupe d'un régime censitaire. Les ouvriers et employés représentent 52 % de la population et occupent moins de 2 % des sièges du parlement ; les dirigeants d'entreprise et professions intellectuelles composent 13 % de la population et trustent 81 % desdits sièges. Dans ces conditions, comment voulez-vous que la démocratie, qui a pour objet de défendre l'intérêt de tous les Français, fonctionne ? Comment voulez-vous que les plus défavorisés, exclus de l'échiquier politique, se sentent entendus et, lors des scrutins électoraux, ne s'abstiennent pas ou renoncent à la tentation extrémiste ? La France est régie par un système totalitaire, une dictature, desquels les médias, par leurs choix éditoriaux, sont totalement complices. Faut-il s'étonner de la déshumanisation croissante de l'humain ?

Vous opposez, de manière manichéenne - la réalité est nettement plus bigarrée -, dominants et dominés. Cette conception est celle du monde animal, comme le démontre l'organisation d'une meute de loups. L'effacement de cette relation étant utopique, l'enjeu n'est-il pas d'œuvrer à la contenir dans l'acceptable et le respectable ?

Cette interrogation sur les alternatives douces ou radicales propres à inverser le paradigme, est intangible. Les révolutionnaires de 1789 se la posaient déjà. Conserver, corriger, améliorer ou chasser le système en place : que faire ? La démocratie politique est victime de l'absence de démocratie économique et du pouvoir despotique qu'exercent les hiérarques de la tyrannie oligarchique. Un cap a été franchi ces dernières années, initié par les nouvelles armes technologiques, financières, idéologiques, politiques des séides de cette tyrannie. Et ainsi, d'une lutte de classes, nous sommes passés en France et jusqu'au sein des grandes puissances émergentes, à une guerre de classes. Or a-t-on jamais mis fin aux guerres avec douceur, patience et compromis ? Non.

La planète est aujourd'hui un terrain de combats, qui opposent les richesses construites par l'homme à celles, naturelles, qu'il emploie, transforme et pille. Les richesses produites par l'homme sont-elles intrinsèquement destructrices du bien commun ?

L'état de la planète est emblématique d'un constat incontestable : la logique de suprématie des uns sur les autres et celle d'hégémonie des classes dominantes ne seront pas éternellement supportables, pour des raisons bien sûr environnementales mais aussi sociales. Dans quelques décennies, qui voudra passer devant le Tribunal de l'humanité et rendre compte des méfaits qu'il a commis et qui ont dévasté la planète ?

Il y a une quinzaine d'années, l'idéologie anticapitaliste prospérait. Partout dans le monde l'altermondialisme gagnait du terrain dans les consciences et les combats citoyens. Depuis, ils déclinent implacablement. Conservez-vous encore l'espoir de leur redéploiement ?

Chaque matin nous nous levons et prenons notre plume pour raconter, dénoncer, interpeller. Invariablement. Nous continuons de croire en nos idéaux - sans cela d'ailleurs, notre raison de vivre aurait disparu. Même si nous ne sommes pas dupes de l'ampleur de la tâche et que parfois le découragement guette, l'espoir qu'un jour ils s'accomplissent est intact. Et dans le monde, des signes nous encouragent. Parmi eux, l'élection en 2009 de José Mujica Cordano, surnommé « Pepe Mujica », à la présidence de la République uruguayenne. Cet ancien membre du parti révolutionnaire Tupamaros, qui fut torturé et emprisonné sous la dictature - croupissant même deux ans au fond d'un puits -, continue de vivre modestement dans une petite ferme, reverse 90 % de son salaire à des représentations caritatives, combat courageusement les cartels de la drogue, met la priorité sur les classes les plus vulnérables pour qu'elles aient accès à l'éducation ou aux soins. Voilà le genre d'engagement qui nourrit nos espoirs.

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Commentaires 5
à écrit le 06/01/2015 à 12:23
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En faisant le tour de France des librairies, des associations, ils auront développé une capacité de nuisance inouie pour la non réélection du Président des riches. Je ne pense pas qu'il les ait vus venir. Mais ils ont fait aussi autre chose, ils ont ...

à écrit le 04/01/2015 à 16:13
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Sauf que lorsqu'il n'y aura plus de riches, les pauvres, nous tous, seront encore plus malheureux puisqu'ils ne pourront même plus rêver de devenir riches!

à écrit le 21/12/2014 à 13:48
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Ca réconforte de voir qu'il y a encore des intellectuels intelligents. Quand est-ce qu'on fait la révolution ?

à écrit le 16/12/2014 à 8:52
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Je pense sérieusement qu'ils appuient du doigt là ou ça fait mal. C'est par la concentration de la richesse que le pouvoir née sans discernement, lequel pousse les plus pauvres à la rébellion. Appuyons-nous sur l'histoire pour comprendre comment sont...

à écrit le 15/12/2014 à 23:24
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communistes staliniens.

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