Gilles Bœuf : "Savons-nous encore aimer la planète ? "

Gilles Bœuf, océanographe et président du Muséum d'histoire naturelle de Paris, prédit le pire pour la planète, défigurée par la vanité, la cupidité, l'utilitarisme et le scientisme des hommes qui prennent le risque de provoquer une « nouvelle crise d'extinction ». L'humaniste conserve toutefois l'espérance.

Acteurs de l'économie : La planète est en crise, la biodiversité est en crise, les rapports que l'homme entretient avec la nature sont en crise. Au Siècle des Lumières a succédé un XXe siècle que vous qualifiez « d'embrasement ». L'homme s'impose comme le principal moteur d'une accélération dont les conséquences se retournent désormais contre lui. Depuis environ 600 millions d'années, une soixantaine d'épisodes et, parmi eux, cinq grandes crises, d'extinction des espèces ont été répertoriées. La civilisation du XXIe siècle entrebaille-t-elle les portes d'une sixième crise ?

Gilles Boeuf : Cette perspective, Paul Crutzen le premier l'a évoquée, au début des années 2000. Le Prix Nobel de chimie a alors employé le terme d'« anthropocène » pour qualifier une nouvelle période de l'histoire de la Terre, qui démarre avec la révolution industrielle et voit l'humain se substituer aux éléments traditionnels (longueur du jour, sel de l'océan, températures de l'air, de l'eau, etc.) au premier rang des conditions d'influence terrestre. Par la suite, plusieurs travaux exploreront cette problématique d'une possible sixième extinction. De mon côté, je préfère interpréter le sens des « crises ».

Une crise forcément est aiguë, débute et s'achève plus ou moins abruptement. Le moment que la planète et l'humanité traversent se situe au-delà d'une crise, et se compose d'une succession d'épisodes climatiques, économiques, sociaux violents au cœur desquels intervient l'espèce humaine - « intervient » signifie qu'elle est à la fois la cause et la solution. Or ce moment ne peut s'éterniser. Annonce-t-il une sixième crise d'extinction ? C'est probable si l'on considère que depuis le XVIIIe siècle la destruction des écosystèmes connaît une accélération foudroyante et inédite.

Et les travaux mesurant l'anéantissement des espèces vivantes sur terre et dans l'eau l'attestent : chaque kilomètre carré de récif corallien dévasté en Australie ou de forêt tropicale au Congo entraîne la disparition de milliers d'espèces vivantes. Une définition de crise d'extinction est la disparition des trois quarts des espèces vivantes, continentales et marines, sur un temps court. Et c'est là que le bât blesse : paléontologues et économistes ne partagent pas la même conception du temps ; le « temps court », les premiers le mesurent en centaines de milliers ou millions d'années, les seconds en décennies...

Un tel anachronisme entrave la compréhension des enjeux mutuels. Le temps étalon est devenu celui de l'immédiateté. L'instantanéité de concevoir, de fabriquer, d'écouler, de consommer, de remplacer, s'est imposée. Or elle est incompatible avec l'échelle temporelle que réclament la conscientisation et l'appropriation de l'enjeu de la biodiversité...

Un jour, un ami député m'offre un morceau de bois fossile ramené de ses filets de pêche. Il l'estime « très, très, très vieux » et le date approximativement... d'un siècle ! En réalité, lui apprends-je, il remonte à au moins 30 millions d'années... Scientifiques et acteurs contemporains de la politique et de l'économie n'ont clairement pas la même notion des temps longs et courts. Et c'est ce qui rend le dialogue si compliqué. « Il faut une fraction de seconde pour écraser une mouche, l'éternité pour la refaire », écrivait un poète chinois. Voilà bien le hiatus : les pratiques humaines anéantissent aujourd'hui de manière presque instantanée ce qui a prospéré pendant des millions d'années.

Certains des actes de l'homme vont empoisonner la biodiversité dans et sur plusieurs dizaines voire centaines et même milliers d'années. C'est le cas, par exemple, des déchets spatiaux ou nucléaires, mais aussi du climat dont le dérèglement connaît ses premières manifestations.

Et la grande difficulté est justement de faire prendre conscience et responsabilité qu'il faut juguler aujourd'hui des comportements dont les conséquences, irréversibles, vont très au-delà de notre espérance de vie. « Quel est l'impact à un horizon de cinq cents ans des décisions que je prends ce jour ? ». Voilà la question qui devrait escorter nos arbitrages. Le gaz de schiste en est un excellent exemple : il fait partie d'un patrimoine qui ne s'évaporera pas, il est chez nous, à nous il n'y a aucune urgence à l'exploiter, et il est préférable pour cela d'attendre de maîtriser les techniques les moins perturbantes possibles pour l'environnement. Évaluer les conséquences à moyen et long termes pour la biodiversité devrait dicter toute décision humaine.

L'histoire démontre que les progrès techniques qu'il a produits ont toujours permis à l'homme de riposter aux dégâts qu'il provoquait. En 2014, il dispose d'une maîtrise technologique et scientifique inégalée, qui laisse penser à l'immense majorité de l'humanité qu'il trouvera une nouvelle fois la parade aux dommages environnementaux et à la raréfaction des ressources, y compris énergétiques, dont il est l'auteur. A-t-il raison de le croire ? Ou au contraire, parce qu'il semble ne plus contrôler la vitesse des changements qu'il engage, l'homme creuse-t-il sa tombe ?

Qu'a-t-on fait il y a quatre siècles pour endiguer de graves problèmes économiques et les sérieuses  pathologies - peste noire, etc. - qui dévastaient l'Europe ? Au prix d'un comportement moral et éthique abominable, l'Amérique Latine, l'Afrique et l'Asie devinrent des terrains d'esclavage. Cette  compartimentation de la planète pour riposter aux dégâts que l'espèce humaine elle-même provoque n'est plus possible en 2014. Nous ne pouvons plus rien isoler, cloisonner, imperméabiliser, et nous ne possédons pas les moyens (surtout énergétiques !) d'exfiltrer une partie de la population mondiale vers d'autres planètes. Pour ces raisons, l'humanité entière est condamnée à vivre et donc à s'entendre avec elle-même. Elle doit accepter de mesurer systématiquement les bienfaits et les méfaits de ses actes, et en évaluer l'irréversibilité des conséquences. Tout cela sans cécité, ni illusions, sans tricher et sans fausses certitudes.

L'espèce humaine est effectivement engagée dans une course effrénée et létale - consumériste, marchande, liée au progrès scientifique -, elle doit faire face aux transitions de toutes sortes - démographique, nutritionnelle, agricoles, énergétiques, écologiques - résultant de changements de modes de vie profonds, elle fait le constat du plafonnement de certaines performances - sportives, espérance de vie - mais aussi de l'irruption de maladies nouvelles ou du délitement de sa faculté résiliente, elle est envahie par la cupidité et l'égoïsme. L'heure est à la réconciliation de l'homme avec la nature. N'est-elle pas en premier lieu à la réconciliation de l'homme avec lui-même ?

« Connais-toi toi-même et aime-toi toi-même si tu veux connaître et aimer l'Autre. » On ne peut traiter aucun enjeu mettant en scène l'homme et son environnement sans préalablement explorer les conditions d'une « ré-entente » de l'homme avec lui-même. Or, trop souvent cette exigence est négligée ou volontairement écartée. La faute incombe en premier lieu à une confusion de l'être et de l'avoir ; le consumérisme nous a peu à peu donné l'illusion que nous étions au travers de ce que nous possédions, au risque de provoquer des désordres insolubles.

Les crises peuvent aussi être salvatrices, dès lors que leur résolution est dictée par l'intelligence collective...

Antoine de Saint-Exupéry affirmait que « l'homme se découvre devant l'obstacle ». Aujourd'hui, l'humanité fait face à des écueils considérables, elle conserve un espoir inébranlable en leur résolution, mais elle ne partage pas suffisamment pour y parvenir... « La technologie va nous sauver de tout », pense-t-on communément. Grâce à elle, nous pourrons reconstituer ou parer à tout ce que nous détruisons : alors pourquoi pas ne pas mettre du fer dans l'océan Austral, vouloir refaire les plantes ou les animaux perdus dans les forêts, injecter des particules dans l'atmosphère, et même nous pourrons contrôler la production de bactéries en éliminant et en démultipliant celles qui respectivement affectent ou « aident » l'espèce humaine.

Ce raisonnement du mythe prométhéen a peu à peu innervé les consciences, jusqu'à celles de personnalités ou de scientifiques que l'on croyait robustes face à la tentation du déni. Le dopage dans le milieu cycliste en est un exemple : nombreux sont ceux qui pensent que sans dopage point de victoire, et que, puisque tous les coureurs y recourent, le vainqueur est bien le meilleur d'entre eux. Mais un Tour de France « propre » serait une épreuve certes courue un peu plus lentement, mais avec toujours autant de compétition, de densité, de dramaturgie... et davantage d'admiration. D'ailleurs, je ne croirai à l'éradication du fléau que lorsque les vitesses moyennes régresseront pour s'ajuster aux potentialités physiologiques de l'être humain.

L'homme est, finalement, victime en premier lieu de son arrogance, de sa vanité et de sa cupidité. À quand peut-on dater le moment, dans l'histoire récente, où il cultive la satisfaction de dompter la nature ?

Ce sentiment existe depuis très longtemps. On peut évaluer son irruption à l'apparition des religions monothéistes. À cet instant en effet l'homme se laisse envahir par la conviction qu'il a été créé par un être supérieur qui lui confie le droit - voire, pire : le devoir - de dominer la nature. Il s'agit là d'une spirale d'une gravité extrême, dont l'espèce humaine ne pourra s'extraire qu'à la condition de recouvrer une humilité, une soif de partager, un respect profond de l'harmonie globale que compose l'ensemble des systèmes. S'il avait seulement conscience de la fabuleuse ode à la biodiversité que constitue son propre corps, peut-être serait-il tout autre ?

Ce moment traduit-il le changement du regard, jusqu'alors bienveillant, respectueux, amoureux, et depuis conquérant, assujettissant, méprisant, qu'il porte à la nature ?

Je vais vous décevoir : cet instant n'a, je pense, jamais existé... Nous sommes empreints d'une forme d'angélisme candide et fantasmée qui voudrait que les peuples ancestraux hier ou autochtones aujourd'hui sacralisent la nature, vivent en communion avec elle. Ce n'est pas la réalité. De tout temps l'humain s'est montré plutôt agressif à l'égard de la nature. Lorsqu'ils mettent pied en Nouvelle-Zélande en 1200, les Maoris massacrent un tiers de la population des oiseaux. En Afrique, en Amérique ou en Asie, les destructions d'écosystèmes n'ont pas attendu l'avènement de la révolution industrielle. Seule différence, de taille : celle des moyens et des outils employés, qui aujourd'hui démultiplient l'ampleur des dégâts.

Parce qu'elles sont « fermées », les îles constituent un terrain idéal pour étudier le comportement de l'homme vis-à-vis des écosystèmes. Or que constate-t-on ? Sur celles de la Méditerranée, découvertes entre 8 000 et 10 000 ans av.-JC, les mammifères et les oiseaux ont partout été détruits après l'arrivée des humains. L'irruption des animaux domestiques accentuera cela. En Amérique du Nord, les humains vont perpétrer, dans des conditions abominables, la dévastation de millions de bisons, aux seules fins de récupérer leur... langue, unique organe consommé. Et c'est d'ailleurs au XIXe siècle qu'apparaissent les premiers textes écologiques, notamment ceux mettant en garde contre l'abattage excessif des séquoias - destinés à la production de pâte à papier - et la pollution des rivières à saumons. Des textes qui partagent avec ceux, contemporains, de l'agro-écologue Pierre Rabhi, une même humilité et un même sens du partage.

Ce que la nature humaine entreprend pour anéantir la biodiversité et donc le terrain même de son existence dans le mépris de son bien le plus précieux : ses enfants, traduit-il une situation de désespérance, une capitulation, même une disposition au suicide ?

Je n'ai pas cette impression. Et je garde quand même espoir. Soyons clairs et ne leurrons personne : nous allons souffrir. Mais ceux qui travaillent au bien-être de l'humain individuellement et de l'humanité collectivement observent des raisons d'espérer. Les prises de conscience pénètrent des cercles de décision qui, il y a encore peu, faisaient preuve de désintérêt voire de mépris absolus. Les conseils d'administration des entreprises font désormais quelquefois appel aux scientifiques pour les éclairer sur les dommages de leurs propres errements. Reste que le combat ne sera gagné que lorsque celui mené contre la cupidité et l'indifférence aura abouti. Là réside un des terreaux de tous les maux - égoïsme, individualisme, machiavélisme, agressivité de toutes sortes, maltraitance psychique des femmes, décadence morale, etc. - comme l'a si bien illustré le chef-d'œuvre de Martin Scorcese, Le Loup de Wall Street. Et d'ailleurs, le public des étudiants qui composent les facultés de médecine, de biologie ou les écoles vétérinaires ou d'agronomie n'est pas de nature à rassurer : s'il est majoritairement féminin, c'est parce que les jeunes hommes préfèrent opter pour les métiers lucratifs du commerce ou de la finance.

L'érosion spiritualiste et la déshérence humaniste enflammées par ce triple diktat individualiste, matérialiste et utilitariste constituent-elles la première cause de la cécité ?

C'est tout à fait possible. Le « réveil » que l'humanité doit engager ne peut résulter que d'un grandissement intérieur personnel simultanément partagé par l'ensemble des communautés. Or ce grandissement, c'est-à-dire cette appréhension d'un « sens » et d'une responsabilité inédits, cette capacité à s'autonomiser des tentations et des pressions souvent délétères de « groupe », sont difficilement envisageables sans une dimension spiritualiste proportionnée - le spiritualisme, qui énonce des valeurs spirituelles et morales, ne signifiant nullement religion.

La jeunesse mais aussi ces femmes - que la maternité peut rendre davantage empathiques, altruistes, respectueuses de ce qui nourrit la vie - doivent-elles concentrer les espoirs ?

Pourquoi sont-ce les femmes qui assistent massivement aux conférences que dispensent les scientifiques défenseurs de la biodiversité ? Parce qu'elles portent en elles une sensibilité particulière à tout ce qui « fait » vie. A contrario, sont-ce des femmes qui exercent les métiers aussi destructeurs d'humanité que celui de trader ? Non. Elles vivent des histoires merveilleuses, et c'est pour cette raison que le mâle s'est de tout temps attaché à les contraindre et à les humilier. Comment a-t-on pu penser il y a encore si peu qu'elles étaient dépourvues de conscience politique et donc ne pouvaient assumer la responsabilité de voter ? Chacune des femmes qui, aux quatre coins du globe, combat, invente, fédère, répare et entreprend, contribue à ronger la suprématie et l'arrogance masculines.

Le transhumanisme, mouvement aspirant à l'amélioration humaine par l'emploi des biotechnologies, tente de s'imposer. Il combat le handicap, la maladie, la souffrance, mais aussi le vieillissement et même la mort. Poussé à son paroxysme, il illustre un phénomène beaucoup plus large, celui d'une recherche de la perfection et de l'immortalité, celui du refus des fragilités et des altérités, grâce auxquels les scientistes et la dictature du progrès scientifique gagnent du terrain...

Cette avancée constitue un danger considérable. Des hommes ne tolèrent plus qu'« on » leur résiste, c'est-à-dire qu'« on » entrave leur ambition de progrès et de conquêtes de toutes sortes. « On » matérialise la nature et l'environnement, mais aussi l'humain « insuffisamment » utile ou productif. Cette logique est inacceptable et délétère. À un étudiant qui, lors d'un cours à la Sorbonne, se présenta « climato-sceptique », j'eus pour réponse celle d'être, de mon côté, un « amoureux ». Oui, lorsqu'on aime l'autre, c'est-à-dire toute espèce vivante - humaine, animale, végétale -, il est impossible de souscrire au dangereux déni des réalités dévastatrices provoquées par la cupidité et l'arrogance.

Le scientisme a profité d'une mise à l'écart des disciplines humaines et sociales et d'une production scientifique qui a travaillé en silos ; il est urgent de décloisonner les matières et les enseignements, de créer une transversalité pour que les climatologues se confrontent aux philosophes, que les médecins échangent avec les sociologues, que les économistes entendent les écologues, que les chimistes composent avec les anthropologues, etc. Ainsi ensemble pourront-ils développer une vision transversale, responsable et, osons le dire : humaniste, de leurs travaux. Cette dramatique compartimentation d'ailleurs n'est pas propre aux disciplines de l'enseignement supérieur et de la recherche ; il n'existe souvent au lycée aucun dialogue intellectuel ou programmatique entre professeurs d'histoire et de mathématiques, de biologie et de philosophie - cette matière devant être enseignée dès le collège -, de français et d'arts plastiques au sein des lycées. Or c'est dans ces établissements que l'hybridation devrait débuter.

Ne faut-il pas se réjouir du plafonnement de certains progrès ? En premier lieu celui de l'espérance de vie, l'obsession de la repousser toujours plus loin traduisant le rejet ou la peur d'un vieillissement, d'une finitude et d'une mort qu'il est urgent d'accepter de nouveau, et même de réhabiliter ?

L'objectif ne devrait pas être de repousser l'échéance de la mort, mais d'œuvrer à améliorer les conditions de la mort. Mourir dans le bien-être est bien plus essentiel et porte bien davantage de sens que de vivre dix années supplémentaires dans la solitude et la souffrance autant physique que morale. Les progrès sur la « durée de vie » doivent être qualitatifs et pas quantitatifs. D'ailleurs, cette aspiration croise une réalité : l'espérance de vie décline dans certains pays occidentaux - en Russie sous le joug de la décrépitude sociale, aux États-Unis par la faute du développement de nouvelles maladies lié aux modes de consommation, etc. Il est temps de désindexer les critères de progrès et de croissance du sempiternel PIB. Ce PIB a peut-être pu constituer un indice clé de bien-être dans les années cinquante ; ce n'est plus le cas aujourd'hui. L'heure doit être à l'introduction officielle de nouveaux indicateurs - éducation, santé, solidarité, qualité de l'environnement... et surtout « bien-être » avec pour dessein de vivre « qualitativement mieux » en « consommant moins ».

Qui est le premier coupable des dévastations constatées aux quatre coins du globe et de l'inhumanité de l'espèce humaine : ce que cette dernière porte intrinsèquement, ou ce que l'idéologie et les mécanismes du libéralisme ont fait naître et prospérer en elle ?

Les premiers hominidés, il y a environ 3 millions d'années, vivaient en Afrique. Il faut imaginer ces petits hommes tenter de préserver leur espèce au milieu d'une forêt ou d'une savane qui leur étaient totalement hostiles. Tous étaient en survie face aux nombreux prédateurs. De là peut-être est né ce qui n'a jamais quitté l'humain : la hargne. Cette hargne, par la suite, s'est transformée en agressivité qu'il a mise au service de desseins moins nobles : celui de conquérir, de consommer, de posséder. Et même d'asservir - pour preuve aujourd'hui le statut de l'animal, qui ne dispose d'absolument aucun droit. L'Homo sapiens a dû batailler ferme pour écarter de la planète les autres espèces... Puis tout ce qu'il a entrepris a participé à « se servir » d'un environnement qu'il a cherché à domestiquer, pour se nourrir - agriculture, élevage - ou étendre son pouvoir. Il est temps pour lui d'apprendre que tout raisonnement ne peut pas être utilitariste et donc que ce qui l'environne n'est pas « que » ressource à exploiter.

« Ressources » humaines, « capital » humain... Jusque dans l'utilisation de l'homme, tout, aujourd'hui, est marchandisation et utilitarisme, (presque) plus rien n'est gratuité et désintérêt...

Certes. Pour autant faut-il abdiquer ? On ne peut pas se passer de la nature, car elle produit tout ce qui fait « vie ». Mais à vouloir réduire à de vulgaires ressources ce formidable trésor dont la plus grande richesse est d'être renouvelable, on « tue la poule aux œufs d'or ». Rendez-vous compte que dans certains domaines, notamment de la pêche, le seuil de surexploitation a dépassé celui de « renouvelabilité » des espèces, les condamnant à l'éradication. Mais comment l'humain peut-il être à ce point stupide, rapace, pour anéantir ce qui assure sa nourriture ou ses revenus ? Cette inconséquence est un mystère.

Quelle est votre définition du progrès utile et responsable ? De quelle peau éthique l'enveloppez-vous ?

Cette question, bien souvent je me la suis posée. Mais les réponses demeurent très confuses. Idéalement, le progrès doit intégrer une exigence sociale, des biens matériels réfléchis, la disparition de tout gaspillage. Beaucoup plus de bien-être et une dose de spiritualisme.

Face à la fulgurance des avancées scientifiques, notamment dans le domaine du cerveau soumis au danger manipulatoire du neuromarketing, les armes destinées à sanctuariser l'éthique sont-elles suffisantes ? L'absence de gouvernance internationale et l'effacement des États face à la puissance de grands groupes internationaux font-ils craindre le pire ?

Les neurosciences peuvent produire le pire, mais aussi - et surtout - le meilleur. Tout dépend de la finalité qu'on leur destine. Lorsqu'elle est honorable, ses bienfaits sont sans limite. Lorsqu'elle est pervertie par l'âpreté du gain, elle présente des dangers. Et cela vaut dans bien d'autres domaines. Ainsi la technique du nucléaire, qui a provoqué l'anéantissement de Hiroshima et de Nagasaki, mais « aussi » permet de diffuser l'électricité au fin fond de la campagne. Ou encore les OGM et la biologie de synthèse, qu'il est inepte de condamner a priori : on peut s'opposer à la philosophie qui escorte leur développement, mais on peut aussi leur reconnaître une part d'intérêt dans certaines situations.

Lorsque nous traitons de biodiversité, nous abordons quatre champs : la recherche scientifique, l'économie, le social et l'éthique. Or les « armes » de cette dernière sont mises à mal par un cynisme qui frappe toutes sortes d'acteurs. Y compris bien sûr les États. Lorsque nous militons pour légiférer l'exploitation des eaux marines, les autorités américaines ou chinoises répondent sereinement qu'elles disposent des moyens militaires de contourner les réglementations...

Vous êtes un grand spécialiste des océans, et avez travaillé sur les mécanismes de croissance et d'adaptation des poissons. Les enseignements sur la plasticité des salmonidés permettent-ils d'éclairer la capacité de l'homme à s'adapter à lui-même, c'est-à-dire aux changements qu'il a provoqués, et même à survivre à lui-même ?

Les poissons composent un monde fabuleux et sont, en de nombreux points, similaires à l'espèce humaine. Ils vivent au sein de l'extraordinaire élément qu'est l'eau, cette eau sans laquelle l'homme ne peut pas vivre. Et pourtant, non seulement ce dernier détruit les océans, mais en plus il s'enferme dans un déni face auquel je me sens démuni. Que disent certains élus américains face à l'inéluctable envahissement, par l'océan, de la Caroline du Nord à la fin du siècle ? « Cessons d'inquiéter la population, remettons-nous en à Dieu »...

Éruptions, tsunamis, raréfaction de l'oxygène, pluies torrentielles : la vie sur terre a toujours été changement, et les espèces vivantes ont toujours su, avec plus ou moins de bonheur, s'adapter. C'est la condition même de la survie. Et dans ce domaine, reconnaissons à l'homme une disposition fascinante à s'adapter. Il est celui qui peut naviguer en eaux profondes, atteindre le sommet des montagnes et poser le pied sur la Lune, se promener dans le désert ou la forêt tropicale, donc dans des conditions soit hostiles soit même « inhumaines ». Lors de la canicule de 2003, dans quelles régions a-t-on recensé le plus grand nombre de victimes ? Là où il faisait le plus chaud ? Non : dans les grandes villes, là où les personnes âgées n'étaient pas préparées et armées, alors que les populations du sud de la France ont toujours su se protéger des dangers de la chaleur. Les aspects culturels sont essentiels pour comprendre la capacité d'adaptation, et cette dernière semble n'avoir jamais été aussi grande qu'aujourd'hui grâce aux technologies...

... Encore faut-il y arrimer un sens et une perspective...

Absolument. Quoi qu'on crée, quoi qu'on produise, il faut le faire « avec conscience », c'est-à-dire la conscience de l'autre - humain, végétal, animal, etc.

Le mot « biodiversité » est composé de « bio » et de « diversité ». Comment peut-on espérer honorer la biodiversité tant que le respect et l'intégration de ce qui « fait » diversité : les différences, continueront d'être à ce point contestés ?

À force d'arrogance accumulée au fil des millénaires, l'espèce humaine a fait le choix de se positionner sur un piédestal, et ainsi de vouer au « reste », animaux en tête, au mieux du mépris ou de l'indifférence, au pire de la haine. Or ce « reste » concentre et symbolise toutes les formes de différences : pourquoi câline-t-on un chien et écrase-t-on une fourmi, aussi inoffensive et aussi utile à l'écosystème soit-elle ? C'est pour cela que « travailler la conscience » afin qu'elle ne soit pas ruine de l'âme est aussi essentiel. Et dans ce domaine la science et les technologies, les connaissances et la communication, in fine « l'intelligence » peuvent constituer de formidables atouts pour tuer l'obscurantisme. Et cela commence dans l'éducation familiale et scolaire.

Au lendemain de la crise mondiale de 2007-2008, un vent d'espérance avait soufflé, qui annonçait une prise de conscience planétaire des enjeux environnementaux et l'avènement d'une économie davantage écoresponsable. Antérieurement et ultérieurement se sont succédé les sommets et les conférences internationaux (Kyoto, Durban, etc.) pour stopper l'érosion de la biodiversité ou la dégradation climatique. Tous ont été de patents échecs. Paris accueillera en 2015 la Conférence mondiale sur le climat. Pourquoi devrait-on croire à un sursaut ?

Soyons réalistes : chaque sommet est annoncé comme celui de la dernière chance, et à son issue la désillusion s'impose. Et donc dans celui de Paris, il faut placer une confiance extrêmement mesurée, c'est-à-dire beaucoup d'espoir et bien peu d'illusions. Même les signataires du protocole de Kyoto (1995), France en tête, n'ont pas appliqué les mesures... Et objectivement, comment pourrait-on s'entendre à 190 nations ? J'y ai pourtant cru lors de la mise en place de l'Organisation mondiale pour l'environnement préparatoire à la Conférence de Rio. Mais non, finalement, rien...

Vous êtes invité à la chaire « Développement durable » du Collège de France. Cette dénomination fait l'objet depuis une vingtaine d'années d'une instrumentalisation qui l'a galvaudée et a siphonné sa substantifique moelle. A-t-elle encore un sens ?

Non, plus aucun, y compris scientifiquement. Et d'ailleurs le CNRS a lui-même débaptisé l'appellation de son département pour la reformuler en « Écologie et environnement ». Le terme anglais de sustainable development, que l'on peut traduire par « développement soutenable », est nettement plus approprié.

L'aggiornamento destiné à sauvegarder la biodiversité peut-il être envisagé en douceur ? Son accomplissement peut-il emprunter d'autres voies que celle de la radicalité, y compris brutale voire postérieure à un cataclysme planétaire ?

Je conserve l'espoir d'une transition maîtrisée... mais j'ai bien peur que ne s'impose un processus autrement plus brutal. Toutefois, nous tous, scientifiques, avons la responsabilité de lutter contre le spectre de la désespérance et, pour cela et en premier lieu auprès des jeunes, de porter un message d'espoir. En 1988, Augusto Pinochet procède à un référendum censé proroger son mandat présidentiel jusqu'en 1997. La gauche chilienne s'empare alors des « classiques » arguments de la torture, des viols, des massacres, de toutes formes de transgression des droits de l'homme perpétrés sous la dictature pour construire sa campagne. Jusqu'au jour où, finalement, sous l'impulsion d'un jeune publicitaire, le message est réorienté vers les conditions de bâtir un avenir meilleur. Ce souffle d'espérance et de fraternité scellera le sort du scrutin et le No l'emportera avec 56 % des voix. Cet exemple doit servir ceux qui veulent rassembler l'humanité dans la défense de la biodiversité.

Rien ne peut en effet être envisagé sans une mobilisation citoyenne universelle. Ce que vous observez de la capacité critique, indocile, de cette humanité donne-t-il des raisons d'espérer ? L'opportunité que constitue la puissance des réseaux sociaux peut-elle se révéler plus forte que l'apathie et la résignation liées d'une part à la subordination à l'individualisme et au matérialisme, d'autre part à l'incurie politique ?

Cette apathie, cette résignation doivent faire l'objet d'un combat de tous les instants. Surtout qu'aucun secours n'est à attendre de la classe politique. Vous rendez-vous compte : quatre ministres de l'Environnement en deux ans... C'est symptomatique du très faible intérêt que l'actuel pouvoir - comme les précédents - réserve au sujet. Même si je continue d'espérer que ladite actuelle ministre pourra changer les choses.

Tout spectateur marqué par 2001 Odyssée de l'espace sait que seule la conscience humaine de la responsabilité peut juguler les dérives éthiques, notamment de la technologie. La société civile et le monde associatif portent les moyens de résister à la catastrophe annoncée, de faire obstacle au magma infâme dans lequel l'humanité s'englue. Chaque rencontre organisée au Muséum et réunissant dans un même élan dentistes, bouchers, avocats, plombiers, retraités, fonctionnaires..., me conforte dans l'espérance. Ces exemples de « science participative » permettent de rendre les citoyens actifs dans le processus de compréhension et de riposte de la dégradation de la planète : c'est capital.

On peut être écologue sans être écologiste, mais la cause de la biodiversité et de l'écologie est un combat politique. Si elle est à ce point en panne, elle le doit en partie au support politique censé la diffuser. L'enjeu écologique doit-il être incarné par un parti, ou au contraire doit-il transcender les compartiments politiques ? L'idéologie libérale consubstantielle à la « droite » confine-t-elle la préoccupation écologique à un courant « de gauche » ?

Le sujet de la biodiversité doit absolument dépasser les frontières d'un parti. Surtout que la formation politique censée le défendre est souvent hors sujet et se concentre sur des thèmes qui ne sont pas toujours essentiels. Peut-il résister au dogme libéral ? Oui si ce dernier est strictement encadré. En 2002, Oystein Dahle, alors aux commandes d'Esso Norvège, déclara : « Le socialisme-communisme s'est effondré parce qu'il ne tenait pas compte des réalités du marché, le capitalisme libéral pourrait s'écrouler parce qu'il ne tient pas compte des réalités écologiques ». L'économie de marché devient délétère lorsqu'elle confie au marché lui-même le soin de régler naturellement les débordements. Elle ne peut pas se faire aveuglément confiance. L'écologie, c'est avant tout une affaire de vrai « bon sens » dans lequel tout le monde devrait se retrouver.

Face à l'abdication de la classe politique, la société civile et le cénacle scientifique peuvent former une alternative. Mais les entreprises également, quand bien même leur dessein les détourne des préoccupations environnementales...

Trop d'écologues malheureusement associent l'entreprise au grand Satan. Les logiques doivent évoluer... de toutes parts. Le but de l'entreprise est de produire des profits : cela, il faut l'accepter et travailler à le rendre compatible avec la biodiversité. Est-ce aisé ? Non. Et des chalutiers de pêche qui détruisent à 1 kilomètre de profondeur mille ans de grandissement d'un écosystème aux travaux d'extraction du pétrole dans des zones ultrasensibles, les exemples de fuite en avant irresponsable du capitalisme sauvage sont légion. Je les renvoie dos à dos avec le communisme destructeur que nous avons connu.

Pour autant, je garde espoir, parce que ces capitalistes sont aussi des femmes et des hommes qui vivent de la planète. Et les engagements concrets d'entreprises comme GDF Suez, EDF, Total, Veolia ou Clarins témoignent de prises de conscience réelles.

Là encore, le sens altruiste affecté à la recherche est majeur...

En France, la recherche fondamentale est brisée, car a priori elle est dénuée de but utilitariste et marchand. Quelle ineptie... Lorsqu'Albert Fert, Prix Nobel de physique en 2007, conceptualise la magnétorésistance géante, sait-on que sa découverte va multiplier considérablement la puissance d'action des ordinateurs ? Sans recherche fondamentale que le monde privé n'a ni les moyens ni même la volonté d'entreprendre, point d'innovation. L'enjeu est donc aussi de créer, avec les développements technologiques, un continuum constant, au sein duquel toutes les formes de recherche s'enrichissent mutuellement ; elles se « refécondent » en permanence, charge alors à l'entreprise de traduire ces travaux en emplois et en croissance « responsable ». Une société qui ne donne pas de travail aux jeunes ne peut fonctionner, c'est la première harmonie qui leur permettra de se consacrer aussi à des implications environnementales.

Il ne faut pas non plus mésestimer les facteurs coercitifs, qui produisent des résultats d'une efficacité redoutable. Lorsque Henry Paulson, ancien secrétaire au Trésor de George W. Bush et ex-patron de Goldman Sachs, Michael Bloomberg, président du groupe d'informations économiques éponyme et ex-maire de New York, et Tom Steyer, l'un des bailleurs de fonds du Parti démocrate, publient un rapport (le 24 juin 2014) sur les répercussions du réchauffement climatique sur l'économie américaine, ils ne poursuivent aucun dessein vertueux : ils entendent simplement les dirigeants de Coca-Cola s'inquiéter de la raréfaction des produits naturels nécessaires à la composition de la recette universelle, ou ceux de Nike comptabiliser les conséquences financières des inondations qui détruisent leurs usines de productions en Asie. Le « diable » peut alors devenir le meilleur allié...

Rien ne sera plus utile pour l'avenir de la biodiversité que de voir ses destructeurs être concrètement punis de leurs méfaits là où cela leur fait le plus mal : le portefeuille. C'est à ce prix qu'ils seront exhortés à évoluer. Et en la matière le rôle des consommateurs sera déterminant, car ils vont conditionner la réputation de chaque marque en fonction de son comportement de producteur. Bientôt le coût énergétique de production sera inscrit sur les produits, et cette prise de conscience et donc l'exercice des pressions enfleront.

La bio-inspiration consiste à s'inspirer des trésors organisationnels, organiques et mécaniques de la nature pour solutionner des problématiques humaines. Les exemples sont nombreux. La naissance des premiers avions a résulté de l'observation des chauves-souris ou des oiseaux, la conception des ailes d'Airbus de celle de rapaces volant dans les Pyrénées, la fabrication de rubans adhésifs de celle des pattes de geckos, le système de ventilation « hypoconsommateur » d'énergie de celle des systèmes développés par les termites, l'aérodynamisme et le silence du train à grande vitesse japonais Shinkansen de celle de la forme du bec du martin-pêcheur et du vol du hibou, etc. Est-ce là une piste pour rendre compatibles biodiversité et développement économique ?

La bio-inspiration - à laquelle, là encore, les femmes sont très sensibles - n'est ni une discipline ni une science. C'est une approche ou même une philosophie de vie qui vise à utiliser ce que la nature a elle-même employé pour répondre aux questions ou problèmes qu'elle rencontrait. Elle est d'une grande humilité, d'une grande parcimonie, et donc aux antipodes du scientisme, dont les stupides séides jugent que l'imagination de la nature ne sera jamais au niveau de celle des humains.

La bio-inspiration (ou biomimétisme) est un ensemble de méthodologies séduisant mais qu'il faut considérer avec prudence et mesure : elle ne résoudra pas tous les problèmes humains de la planète. C'est une observation de la nature avec bon sens et qui sera très utile aux nouvelles technologies.

Votre leçon inaugurale au Collège de France traitait naturellement de biodiversité, explorée « de l'océan et la forêt à la cité ». Comment imaginez-vous la cité idéale ?

Peut-on « mâtiner » de biodiversité l'urbanisation croissante ? C'est une nécessité incontournable. Il n'est plus envisageable d'imaginer la ville sans biodiversité, et d'ailleurs depuis une dizaine d'années il est heureux que les architectes s'en soient pleinement saisis. Certains d'entre eux sont même devenus des militants de la cause, et œuvrent à ce que la ville soit un laboratoire de transition énergétique et un lieu tout entier dévolu au bien-être individuel et collectif. Eux ont admis qu'un jour plus aucune voiture ne circulera en ville et qu'ainsi les habitants redécouvriront ou au moins cultiveront le plaisir de cohabiter, même le bonheur d'être « ensemble ».

De toute façon, nous n'aurons pas d'autre choix que de nous donner les moyens de revitaliser les conditions de ce vivre-ensemble. Bernie Krause, célèbre musicien - il joua avec Jimmy Hendrix ou Georges Harrison - et acousticien américain et auteur du Grand Orchestre animal, a développé les concepts d'écologie du paysage sonore, de géophonie et de biophonie et même d'anthropophonie. Ainsi il peut « entendre » la pollution dans les centaines de milliers de séquences de son qu'il a captées sur la planète, enregistrer le son d'un virus quittant une bactérie, « écouter » le plancton, et démontrer que dans certaines villes plus aucun autre son qu'humain n'est émis. Un tel génie permet aujourd'hui de répondre aux groupes de rock qui, il y a quelques dizaines années, hurlaient leur haine de la nature et faisaient l'apologie du béton et du bruit, indice de tant de mal-être ! Au XIXe siècle, Alphonse Allais appelait à édifier des villes à la campagne ; en 2014, nous devons raisonner inversement.

Imaginer l'avenir de la planète à partir de votre bureau séculaire rempli d'histoire(s), des salles, majestueuses, qui composent le Museum et retracent l'évolution des espèces, mais aussi des fonds océaniques que vous explorez depuis quarante ans, nourrit un sens particulier de la responsabilité. Chaque squelette, chaque peau d'espèce vivante aujourd'hui disparue doivent-ils en premier lieu nous faire prendre conscience de la finitude possible de notre propre espèce ?

C'est ici que fut conçu en 1923 le premier colloque mondial d'écologie. C'est de mon bureau que Roger Heim écrivit en 1952 un texte, fondamental pour l'avenir de l'écologie, établissant les preuves que l'humanité courait déjà à la catastrophe. C'est ici que l'ornithologue Jean Dorst rédigea en 1965 Avant que nature meure... Bref, ces bâtiments abritent une partie de la réflexion et de la prise de conscience sur l'avenir de l'humanité. La galerie des animaux menacés ou disparus devrait être vue par tous les enfants, y compris parce qu'ils détiennent le « pouvoir » de sensibiliser et même d'éduquer les parents.

De chaque drame ressortent quelques gagnants, qui ont su cumuler une double capacité d'abord de résistance puis de résilience. Il y a 252 millions d'années, lorsque 96 % des espèces vivantes marines et terrestres disparurent, la famille des oursins connut un regain inespéré ; aujourd'hui, l'un des très rares insectes marins prolifère grâce à la profusion... des plastiques qui flottent dans l'eau et sur lesquels il peut pondre ses œufs, ce qui bénéficie aussi à son prédateur préféré, un crabe. Vraiment, dans ce lieu auquel contribuent plus de 1 000 chercheurs, qui croise toutes les disciplines de sciences humaines et techniques, et qui mêle toutes sortes de publics, on peut regarder notre avenir personnel et celui de la Terre autrement. Avec grande inquiétude mais aussi espérance et responsabilité. Afin que d'aussi grande crise que celle que nous traversons aujourd'hui nous puissions extraire une matière « heureuse » et l'opportunité de faire grandir l'espèce humaine.

À l'aune de votre expérience, croyez-vous toujours davantage à la bonté, au sens de la responsabilité et à l'altruisme qu'à la malignité de l'Homo sapiens ? Dans quel terreau cultivez-vous un optimisme - et notamment l'avènement d'un « nouvel humanisme » - que tout concourt pourtant à éteindre ?

Je ne crois pas à la bonté, surtout spontanée ; je crois davantage au pragmatisme, et surtout à une faculté propre à l'homme : celle de garder l'espoir, dont il nourrit sa capacité à infléchir les dérives. Rien n'est fini. Particulièrement chez les femmes et les enfants, les raisons d'espérer sont réelles. À condition que l'humilité se substitue à l'arrogance. Le mathématicien Cédric Villani place l'homme dans son environnement exactement comme l'astrophysicien Hubert Reeves situe la Terre dans l'univers : à la fois « quelque part » et « nulle part », c'est-à-dire jamais dans une place privilégiée ou dominante. Cette dimension du spiritualisme doit dicter notre existence.

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Commentaires 14
à écrit le 08/10/2014 à 17:41
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La question centrale me semble celle de la démographie. Il faut avoir les ordres de grandeurs en tête et comprendre combien nos effectifs sont hors de proportion avec toutes les règles de l'écologie. Aucun grand prédateur n'a jamais été plus de prése...

le 08/10/2014 à 22:29
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Vous avez tout-à-fait raison, la prolifération humaine est la cause de tous les maux environnementaux actuels... et encore plus futurs. Si nous voulons sauver ce qui peut encore l'être, nous devons absolument éviter de passer de 7 à 11 milliards d'ic...

à écrit le 07/10/2014 à 12:00
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Le seul moyen de réduire le processus est un changement radical de notre consommation, nos politiques dictées par nos financiers font tous pour nous dissuader du contraire. Le changement ne pourra venir que du bas, malheureusement personne ne veut c...

à écrit le 07/10/2014 à 11:20
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NOUS SOMME TOUS DANS LE MEME BATEAU?? LE BATEAU DE LA MEDUSSE? NOTRE SUVIE SUR CETTE TERRE DEPEND UNIQUEMENT DE NOS PROGRES EN ECONMIES DIRIGEZ VERS LA REVOLUTION VERTE???

à écrit le 07/10/2014 à 8:39
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Passons sur les leçons de morale et sur les différences qui pourraient exister entre les agronomes et les commerçants trader qui nuisent à son propos..mais in fine, le President du Muséum d'histoire naturelle pourrait-il nous faire le point sur son e...

le 08/10/2014 à 17:52
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Pour qu'il y ait "quelques experts" comme vous dîtes, il faut qu'il y ait des recherches pour étayer leur discours. Or, le Muséum, ce n'est pas qu'un prétexte à promenade (10 millions de visiteurs par an.... il n'y a pas que les parisiens qui s'émerv...

à écrit le 06/10/2014 à 22:51
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Apothéose ou annihilation, à 1 parsec déjà personne ne détecte la moindre différence.

à écrit le 06/10/2014 à 20:13
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"Tôt ou tard, d'une manière ou d'une autre, l'humanité sera confrontée au problème global de sa survie (...) En quelques décennies, l'homme a ébranlé un équilibre vieux de plusieurs millions d'années, quelques années encore devraient suffire à compr...

à écrit le 06/10/2014 à 19:00
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Intéressant. Mais çà ne sert à rien de s'inquiéter pour la planète : elle se sauvera bien sans nous

à écrit le 06/10/2014 à 14:15
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Encore un discours-constat totalement confus sans aucune valeur ajoutée! Et la conclusion est si opaque (Cette dimension du spiritualisme doit dicter notre existence) qu'il est impossible de travailler avec. On la croirait sorti de la bible (le bon b...

le 06/10/2014 à 15:27
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Oups, erratum! lire pourtant au lieu de "pourrait plus haut est contesté"...

le 06/10/2014 à 18:01
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Au contraire quel bonheur ce texte. Il y a urgence à faire passer ce message la spiritualité c'est croire en l'humanité de chaque individu et à notre fraternité. Et un espoir collectif pour que la Terre et les hommes soient encore là dans des siè...

le 06/10/2014 à 20:06
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La vraie question posée ici n'est pas de croire en l'humanité de chaque individu humain mais de chaque individu non humain aussi? Seulement le discours de GB n'arrive pas à la dégager et revient tjs à la spiritualité humaine. Le serpent qui se mord l...

le 08/10/2014 à 23:39
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Si son discours revient toujours à la spiritualité humaine c'est bien parce que l'homme en manque cruellement, c'est bien parce que c'est l'humain qui est la menace d'une 6ème extinction massive sur terre. Si nous avions bien plus de spiritualité, co...

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