Les enjeux de notre fiscalité, l'analyse de Raphaël Piastra

Le président Emmanuel Macron, banquier de formation, souhaite "dépressuriser" et clarifier les règles fiscales. Jusqu'à présent, ce sont avant tout des réformes conjoncturelles qui ont été préférées, désormais, elles devront être structurelles. N'épargnant personne au passage. Alors candidat, Emmanuel Macron avait annoncé des réformes en ce sens. Depuis son élection, les actes vont visiblement suivre, notamment en matière d'imposition. Ainsi taxe d'habitation, CSG, ISF, impôt sur le revenu, vont être revus et une "flat tax" mise en place. Une loi de programmation fiscale est annoncée très prochainement (1). Analyse des grands domaines visés par cette future loi par Raphael Piastra, maître de conférences - HDR en droit public à l'Université Clermont-Auvergne.

1- L'exonération de la taxe d'habitation

Cette taxe coûte environ 1 100 euros par foyer dans les grandes villes (2). Selon le projet d'Emmanuel Macron, les contribuables dont le revenu fiscal n'excède pas 20 000 euros seront dispensés de ladite taxe. Environ 20 millions de français, soit 80 % des ménages, seraient ainsi exemptés. Le coût pour l'État sera de 10 milliards d'euros compensés par des économies sur les dépenses publiques. C'est dès 2018 que le système se mettrait en place. 20 % de personnes (environ 5,5 millions de foyers) continueront à payer cette taxe.

Ce projet séduit la majorité des contribuables, mais il inquiète les élus locaux. Même si le président de la République s'est engagé à compenser leur manque à gagner, certains d'entre eux redoutent que cette compensation ne se transforme en une dotation (par définition supprimable ou "diminuable").

2- L'augmentation de la Cotisation sociale généralisée (CSG)

Le candidat Macron proposait une mesure fiscale favorisant le travail. "L'esprit c'est que le travail doit payer", disait-il. D'où la volonté d'offrir plus de pouvoir d'achat aux revenus les plus modestes. Le président élu souhaite baisser les charges sociales payées par les salariés en faveur de l'assurance chômage et de l'assurance maladie. En raison notamment du nombre de chômeurs lesdites charges sont toujours à la hausse (3). Cette baisse est annoncée à hauteur de 20 milliards d'euros.

La contrepartie sera une augmentation de la CSG (4). Cette hausse pèsera sur tous les citoyens à l'exception des chômeurs et des retraités les plus modestes. Selon le gouvernement Philippe, il y aura un point d'équilibre entre la baisse des charges et l'augmentation de la CSG. Cette mesure va avantager les salariés. Ainsi une personne au SMIC verra son pouvoir d'achat augmenter d'environ 255 euros par an.

Pour les salariés plus aisés, cet avantage sera soumis à une augmentation de la CSG (5). Les principaux économistes estiment que la hausse de ladite CSG préjudiciera aux 60 % des retraités aisés qui paient déjà le taux plein (8,5 %) de cette cotisation (6). D'autant que, retraités, ils ne bénéficieront pas, par définition, de l'augmentation du salaire. Le gouvernement assume son choix en estimant que les seuls salariés aisés ne doivent pas supporter l'effort pour financer la solidarité nationale. Il s'avère que les retraités aisés ne sont pas les seuls perdants. Ainsi les entrepreneurs le sont aussi. Le projet sera donc revu d'ici la fin de l'année par les services de Bercy.

3- Vers une baisse de l'impôt sur le revenu (IR) ?

Depuis 2007, l'IR a augmenté de façon significative et préjudiciable pour les classes moyennes. À cet égard Emmanuel Macron a annoncé qu'il souhaitait "une stabilité fiscale". Il a précisé toutefois que ce serait sous condition d'une amélioration de l'économie. L'objectif est d'augmenter le plafond du quotient familial (7). Mais cela est conditionné aussi par les prévisions de croissance. Pour 2017, l'Union européenne, l'OCDE et le FMI tablent sur une croissance de 1,4 %. Pour 2018, E. Macron table, lui, sur 1,8 %.

Or l'Insee a revu son estimation de la croissance française pour le premier trimestre 2017 à 0,5 %. En décembre 2016, le parlement a voté l'instauration du prélèvement à la source à compter du 1er janvier 2018 (8). Le gouvernement Philippe a décidé de confier à Gérald Darmanin, ministre de l'Action et des Comptes publics, l'application de cette réforme en la reportant par ordonnance d'un an. Ledit prélèvement permettrait d'abord d'élargir le champ des payeurs et ensuite d'assurer une meilleure répartition. Dès lors une baisse dudit IR s'en suivrait (9).

4- L'impôt sur la fortune immobilière (ISFI) après l'ISF

Certains de candidats présidentiels avaient annoncé la suppression de l'ISF (10).  Emmanuel Macron veut en maintenir le principe, mais en le transformant. Théoriquement, il ne tiendra plus compte des actifs mobiliers (ex : assurances vie), seulement du patrimoine immobilier. L'ISFI sera appliqué à tous les foyers fiscaux possédant un patrimoine immobilier supérieur à 1,3 million d'euros. Sur les quelque 350 000 payeurs de l'ISF, la moitié verra leur facture baisser (ceux dont les revenus immobiliers sortent du calcul).

Le gouvernement Philippe dispenserait de l'ISFI les contribuables plaçant leur argent dans l'économie, afin de relancer celle-ci. Un certain nombre de fiscalistes craignent, toutefois, redoutent la création de SCI (société civile immobilière) afin d'exempter leurs biens de l'ISFI.

5- Vers une "flat tax" ?

Durant sa campagne, E. Macron indiquait vouloir clarifier et simplifier la fiscalité du capital. Il a donc envisagé d'appliquer un taux unique de 30 % sur les retraits provenant des plus gros revenus mobiliers (ex : contrats d'assurance vie, dividendes, actions,) (11). Cette "flat tax" vise indifféremment tous les contribuables. Cette taxe simplifierait le calcul sur chaque type de placement.

Pour les petits épargnants, une telle mesure ne changera rien. Les placements réglementés (livret A par exemple), les PEA voire les revenus fonciers ne sont pas visés. Le plafond de 150 000 euros ne vise que certains contrats aux soldes très élevés (12). Cela étant, la "flat tax" va favoriser les gros épargnants. En effet, jusqu'à présent les revenus issus des placements mobiliers sont soumis au barème progressif de l'impôt et donc à la tranche d'imposition. La taxation pouvait aller jusqu'à 45 %. Si la "flat tax" est adoptée le taux sera plafonné à 30 % (prélèvements sociaux inclus). Certains spécialistes sont dubitatifs :

"Nous ne croyons pas à la mise en place d'une telle mesure. Le fait de "avoriser" fiscalement une détention inférieure à huit ans pour les contribuables les plus taxés vient en opposition au souhait du candidat Emmanuel Macron de favoriser l'investissement dans des actifs risqués qui financent l'économie et qui ne peuvent s'envisager qu'à long terme. En outre, la mesure ne s'appliquant qu'au flux de versements dont le montant dépasse 150 000 euros, elle aurait un impact en matière de rentrées fiscales peu significatif pour l'État et complexifierait encore un peu plus le fonctionnement du placement financier préféré des Français." (13)

Cette taxe fait partie, selon le ministre des Finances, Bruno Le Maire, des réformes qui doivent "passer...dans les deux ans".

6- La manne du carburant

C'est une des meilleures sources de fiscalité pour l'État (14). L'alignement du prix du diesel sur celui de l'essence est évoqué depuis longtemps. Le candidat Macron l'a prévu dans son programme. Nicolas Hulot, ministre de la Transition écologique et solidaire, a estimé qu'il fallait agir assez vite. Les diésélistes risquent donc de payer plus cher leur plein. L'ancienne majorité avait déjà acté pour 2017 une hausse de un euro sur le diesel et une baisse similaire sur l'essence.

Si l'on rajoute les normes antipollution, le désengagement de la majeure partie des constructeurs sur le diesel, il semble que, à moyen terme, le sort du diesel soit scellé. Reste à connaître la réaction des lobbys pétroliers...

Face aux réformes fiscales que le gouvernement s'apprête à mettre en œuvre, les professionnels du patrimoine estiment qu'"il va falloir agir vite pour optimiser son patrimoine" et proposer aux "clients de faire un état des lieux global" de ce dernier (15).

Ce qui va complexifier, et certainement reporter voire annuler certaines réformes, c'est le déficit de 9 milliards dans un budget 2017 qualifié d'insincère par le dernier rapport de la Cour des comptes (16). De nouvelles économies sont à prévoir face à une situation "inacceptable" selon Edouard Philippe.

Sources :

1-     Selon l'art. 34 C. la loi de programmation fiscale « a pour objet de définir les orientations pluriannuelles des finances publiques dans une perspective d'équilibre des comptes » (Lexique des termes juridiques, Dalloz, 2016-2017.

2-     Cette taxe, instaurée en 1974, est un « impôt direct perçu au profit des collectivités territoriales, sur toute personne non indigente disposant à un titre quelconque d'un local d'habitation meublé. Son montant est établi en fonction de la valeur locative estimée du local, selon des taux variant de commune à commune ; il est modulé, dans une certaine mesure, en fonction des revenus de l'occupant » (ibid).

3-     Le nombre de demandeurs d'emploi recule de 1 % sur un mois, à 3 471 800. Le taux de chômage recule de 0,4 point sur trois mois, à 9,3 % (Le Journal du Net, 24/05/2017).

4-     Crée en 1991 par Michel Rocard, la CSG est un impôt à la source assis sur divers types de revenus : d'activité (ex : salaires), de remplacement (ex : allocations chômage), du patrimoine (ex : revenus fonciers), de placement (ex : immobilier), des jeux. Le but principal de cette contribution est de diversifier le mode de financement de la protection sociale. Son rendement est substantiel. Près de 92 milliards d'euros pour 2013 (supérieur à l'impôt sur le revenu) ; viepublique.fr, 13/5/2017.

5-     En février 2013, une enquête Ifop révélait que les Français considèrent comme riche (ou aisé) toute personne qui perçoit en moyenne un revenu net égal ou supérieur à 6 500 euros par mois. Le seuil de la richesse serait à donc à ce niveau de 8 500 euros bruts par mois. Mais les Français savent-ils que cela ne concerne que 2 % de la population ? Le centre d'observation de la société fixe le seuil de richesse à deux fois le revenu médian, ce qui revient à dire qu'on devient riche à partir de 3 045 euros pour une personne seule, 5 940 euros pour un couple et 7 797 euros pour une famille avec deux enfants, ce qui n'est pas très loin des 6 500 euros ci-dessus (Lafinancepourtous.com).

6-     Qu'est-ce qu'un retraité aisé ? Edouard Philippe y a répondu voici peu : "C'est vrai, les retraités aisés auront une contribution supérieure, mais la CSG n'augmentera pas pour les 40 % de retraités qui touchent des petites pensions inférieures à 1 200 euros" (Le Parisien, 7/6/2017). Donc selon le Premier ministre on est un retraité aisé avec 1 201 euros de retraite par mois ?... L'exécutif a décidé d'étaler dans le temps (dès 2018) en deux fois, la baisse des cotisations salariales. La hausse de la CSG serait, elle, effective dès le 1er janvier 2018.

7-     Le quotient familial est un outil de mesure des ressources mensuelles des familles allocataires qui tient compte à la fois de leurs revenus professionnels et/ou de remplacement (Assedic, indemnités de formation...), des prestations familiales mensuelles perçues (y compris celles versées à des tiers comme l'APL) et de leur composition familiale. Il est actualisé lorsqu'il y a un changement de situation familiale, professionnelle, etc... (caf.fr).

8-     Le prélèvement ou retenue à la source est un mode de recouvrement de l'impôt, consistant à faire prélever son montant par un tiers payeur, le plus souvent l'employeur ou le banquier, au moment du versement au contribuable des revenus sur lesquels porte l'impôt (viepublique.fr).

9-     Théoriquement au 1er janvier 2019, la France rejoindra la quasi-totalité des pays du continent européen à avoir mis en place un dispositif de prélèvement à la source de l'IR. Seule la Suisse n'a pas franchi le pas.

10-  Cet impôt a été créé en 1982 par le gouvernement Mauroy. Impôt annuel sur le patrimoine, frappant la valeur nette de celui-ci (Lexique, ibid). L'ISF est calculé en appliquant un barème progressif au patrimoine net imposable. Une décote est prévue pour les patrimoines n'excédant pas un certain seuil. Il est plafonné après réduction d'impôts éventuelle.

11-     Flat tax = impôt à taux unique. Environ 54 millions de contrats d'assurance vie existent en France. C'est le placement privilégié des Français. Seuls ceux dont l'encours dépasse 150 000 euros devraient être taxés et ce en rapport avec le PEA. (Le Parisien, 24/5/2017). ». Notons qu'assez peu de pays dans le monde utilisent ce système. Y figurent Hong-Kong, la Russie ou encore la Lituanie et la République tchèque en Europe.

12-  En- dessous dudit plafond ce sont toujours les 23 % qui s'appliqueront à condition de n'y toucher qu'au bout de huit ans.

13-     Le revenu.com, 27/4/2017. Notons qu'assez peu de pays dans le monde utilisent ladite taxe : Hong-Kong, Russie, Lituanie et République tchèque en Europe.

14-  Le coût du pétrole brut compte seulement pour environ un quart du prix des carburants à la pompe en France contre à peu près 60 % de taxes. La TICPE constitue la principale taxe pesant sur la consommation de carburants. En 2015, elle est de 0,624 euro/l et de 0,468 pour le gazole routier. Il s'agit de la 4è recette de l'État après la TVA, l'IR et l'IS ; connaissancesdesenergies.org, 24/4/17.

15-  G. Menu-Lejeune, Le Parisien, ibid.

16-  Rapport annuel de la Cour des comptes sur la situation et les perspectives des comptes publics (29 juin 2017). Le Premier ministre Edouard Philippe avait aussi commandé un audit des comptes publics (qui a conclu pareil).

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