La mondialisation chinoise sur les rails

Depuis la fusion des différents acteurs du rails chinois, Pékin est devenue un acteur incontournable du transport ferroviaire mondial. Grâce à une technologie de pointe et une forte productivité, les Chinois multiplient les contrats. De quoi fermer toutes les parts substantielles d'un marché mondial en expansion ? Par Paul Clerc-Renaud, Conseiller du Commerce Extérieur de la France à Hong-Kong.

151 ans après la promulgation par Abraham Lincoln de la Pacific Railroad Law qui allait faire la fortune des sidérurgistes de Chicago et Seattle et favoriser le développement des centres industriels et urbains autour des nœuds ferroviaires, le président chinois Xi Jinping a lancé en 2013 l'initiative OBOR qui vise à relier les deux rives du continent eurasiatique par des voies de  communication modernes, en particulier ferroviaires à grande vitesse, et à permettre à l'industrie chinoise d'écouler ses excédents d'acier et de maintenir l'activité de ses ateliers de matériels ferroviaires.

L'émergence de champions mondiaux

Résultat de la fusion de CNR et CSR, CRRC est un géant de 184 000 employés (dont 6 000 à l'étranger) réalise un C.A. de 36md USD.

L'émergence de ces poids lourds sur le marché mondial a modifié les termes du marché. CRRC dispose d'un avantage de coût estimé à 30 % (dans le domaine ferroviaire,NDLR) sur le segment 'express' et à 43% sur le segment GV (300 km/h et plus).

Le coût du kilomètre de voie de CRG est, selon la Banque Mondiale, 40% à 80% moins cher que celui de ses concurrents. L'offre chinoise s'accompagne de financements généreux de China Eximbank, de China Development Bank, de l'Etat chinois ou des fonds de l'initiative OBOR. Les compagnies chinoises peuvent fournir des garanties d'exécution atteignant le tiers du montant des projets.

Hors conditions de prix et de financement, grâce à l'expérience et aux transferts réalisés, la technologie chinoise a fait des progrès spectaculaires. CRRC développe un TGV de marchandises conteneurisées adapté au commerce en ligne qui circulera dès 2016 à 250 km/h contre 160 pour les trains de marchandises actuels, et met au point un moteur de traction à système synchrone magnétique permanent qui a permis d'atteindre 500 km/h en 2015 et devrait être opérationnel en 2018.

La faiblesse de CRRC et CRG semble se situer au niveau de la gestion des projets. La santé financière du donneur d'ordre lui-même, China Railway Corporation (SNCF et RFF chinoises) peut également poser problème : ses pertes atteignent 8.73md CNY au 1er trimestre 2016 et son endettement est massif.

La bataille mondiale du rail

A partir de son réseau intérieur en plein développement (les 20 000 kilomètres de voies à grande vitesse fin 2015 devraient passer 80 000 en 2030), la Chine tisse sa toile hors du territoire national.

  • Le premier axe de développement est l'Asie du sud-est : les majors ont fait de la Malaisie leur porte d'entrée en ASEAN, ouvrant une usine pouvant produire 100 trains par an ou investissant 2md USD pour un siège régional. La liaison prioritaire Chine Singapour traversera également la Thaïlande : un accord a été signé pour une ligne reliant Bangkok à la frontière du Laos. Les travaux ont débuté, mais les relations sont complexes.
  • Au-delà du détroit, en Indonésie, une bataille épique contre les Japonais a été nécessaire pour obtenir le contrat de la LGV Jakarta - Bandung (40' à près de 350 km/h), premier tronçon d'une ligne traversant Java. Les travaux ont débuté en Janvier 2016
  • Le 2ème axe stratégique est formé par l'Asie Centrale et le Moyen Orient en direction du Golfe Persique puis de l'Europe. Au Pakistan, la ligne Kashgar - Gwadar sur le Golfe fait partie de ce corridor économique. Avant même l'ouverture de l'Iran, un accord signé en 2014 a prévu une ligne Kashgar - Téhéran. Les travaux préliminaires ont commencé au Xinjiang. Une autre route proposée en avril 2016 relierait Urumqi à Almaty, Bishkek, Tachkent, Samarkand et Téhéran.
  • Plus loin, le long des anciennes routes de la Soie et suivant l'initiative OBOR, la Chine a construit depuis 2005 en Turquie un tronçon de la LGV Istanbul-Ankara ; CRRC produit sur place les wagons pour les métros d'Ankara et d'Izmir et s'apprête à répondre à l'appel d'offres pour 80 TGV. L'Irak compte sur la Chine pour porter son réseau ferré de 2 000 à 5 000 km
  • Sur le 3ème axe majeur, la Chine et la Russie ont signé un protocole pour une LGV Pékin - Moscou (7000 km). Un premier contrat concerne le tronçon Moscou - Kazan avec une extension prévue vers Iekaterinbourg puis à travers la Sibérie vers Pékin. Au-delà de la Russie, le Belarus est prévu pour devenir une étape logistique majeure vers l'Europe.
  • Axe mineur, le projet Myanmar - Bangladesh - Inde doit encore être balisé. En revanche, l'Inde a décidé de rattraper son retard et d'investir massivement dans les infrastructures ferroviaires. Un groupe chinois a été choisi pour réaliser l'étude de faisabilité de la LGV Delhi-Mumbai.
  • L'Europe de l'Est est l'extrémité occidentale de la ceinture OBOR. La liaison du port du Pirée contrôlé par COSCO au cœur de l'Europe est l'objet de la ligne Belgrade - Budapest, attribuée à un consortium dont la part chinoise représente 85%. La Macédoine attend d'être reliée et a pris livraison des premiers wagons made in China roulant en Europe.

Les marchés « extérieurs » ont fait l'objet d'approches nombreuses :

  • L'Afrique a été la cible de l'industrie ferroviaire chinoise depuis les années 70 (ligne Dar Es Salam - Zambie). En septembre 2015, 5 675 km de lignes ont été construits grâce à l'aide et au financement chinois. La Chine a signé avec le Nigeria la modernisation de la ligne Lagos - Kano, et la ligne côtière Lagos - Calabar a fait l'objet d'un accord de financement. En Afrique de l'Est, la ligne Khartoum - Port Soudan a été livrée en 2012 et celle de Nairobi à Mombasa le sera en 2017. La ligne Addis Abeba - Djibouti doublant l'ancienne construite par les Français a été partiellement ouverte en 2016.
  • L'Amérique latine a généré quelques déboires pour le ferroviaire chinois : contrat pour une LGV signé au Mexique puis rapidement annulé pour des raisons de transparence et même destin pour un contrat signé en 2013 en Bolivie. Le grand projet de LGV transcontinentale reliant la côte atlantique brésilienne à la côte pacifique péruvienne est en cours d'étude mais devra surmonter de nombreuses oppositions.
  • CRRC a eu plus de succès en s'implantant aux Etats-Unis. L'usine inaugurée en 2015 à Springfield va fabriquer les wagons du métro de Boston. En septembre 2015, la LGV Los Angeles - Las Vegas a été attribuée à une JV de CRRC ; le chantier devrait commencer à l'automne. En mars 2016, CSR Sifang America a signé un contrat avec le métro de Chicago. Des appels d'offres sont en cours pour le métro de Los Angeles et pour des trains à deux étages pour Philadelphie.
  • En Europe occidentale, une filiale de CRRC pourrait remporter au Royaume-Uni le contrat de la LGV Londres - Manchester - Leeds. CRRC a promis de mettre en place une chaine logistique impliquant l'industrie locale. L'Ecosse a signé un protocole avec un groupe d'investisseurs chinois pour un budget de 10md GBP d'investissements d'infrastructure.

Et la France ?

Ne pouvant détenir que 40% de sociétés du secteur, les constructeurs de matériels roulant étrangers ne peuvent pas concurrencer CRRC sur son marché intérieur. Les sous-traitants ont plus de latitude mais se heurtent à la concurrence de sociétés locales subventionnées et dont le respect des normes est souvent élastique. Il en va de même sur les marchés proches asiatiques (ASEAN, Asie Centrale, Pakistan) où la Chine utilise sa force diplomatique et financière pour imposer ses entreprises.

Les exigences de fiabilité et de sérieux dans l'exécution des contrats favorisent parfois les firmes japonaises ou européennes. Si l'Asian Development Bank et la Banque Mondiale offrent peu de chances de faire jeu égal pour nos entreprises, les fonds créés dans le cadre de l'initiative OBOR (AIIB et Silk Road Fund) ont proclamé un comportement "lean, clean and green". Les premiers projets financés par l'AIIB au Pakistan sont ainsi des co-financements avec l'ADB. La pratique dira si des règles de concurrence loyale seront appliquées.

La situation est meilleure sur les marchés européens et nord-américains où les normes, la fiabilité et la gouvernance sont déterminantes dans le processus de décision. Les constructeurs chinois doivent y faire appel à des sous-traitants et partenaires locaux. Leur réputation se jouera sur leurs performances dans l'exécution des contrats qu'ils ont remportés à Boston, à Chicago et sur la ligne TGV Los Angeles - Las Vegas.

La filière restera soumise à une pression croissante au niveau des coûts et c'est au prix d'énormes efforts de productivité et d'innovations que le ferroviaire français aura des chances de garder des parts substantielles d'un marché mondial en expansion.

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Commentaires 2
à écrit le 19/06/2017 à 19:39
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L'article omet un " léger détail " concernant la France. Soucieuse de ses bonnes relations avec l'Europe, la Russie avait décidé de privilégier Alstom-Ferroviaire au détriment de Siemens, pour la réalisation du projet TGV Moscou-Kazan-Pékin ( longue...

à écrit le 13/05/2016 à 19:06
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Voila le résultat de toujours vouloir moins chère que le moins chère . le français ne veut pas payer le juste coût et donc l’industrie se tourne vers ces pays a la main d'oeuvre a bas coût ce n'est pas en généralisant les billets de trains a prix lo...

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