Christian Streiff, un autre homme et un autre patron

Les enseignements que l'ancien Pdg de Peugeot Citroën a tirés de sa reconstruction post-AVC sont poignants, considérables. Et universels, notamment pour l'ensemble des entrepreneurs et patrons écartelés par la gestion, duale voire douloureuse, de l'important et de l'essentiel. Il les livrera le 3 décembre à l'Université Lyon 3, en clôture de Tout un programme.
Christian Streiff interviendra le 3 décembre à l'Université Lyon 3.

« Je sais, désormais, où est la vérité de la vie ». Dans cette phrase sont condensées toute l'histoire, les affres, les joies, les émotions les plus contrastées que Christian Streiff a éprouvées après le 11 mai 2008 et mises en perspective de son existence d'avant. Oui, à 60 a ns, la vie de l'ancien président de PSA est la juxtaposition, c'est-à-dire tour à tour la distinction et l'entremêlement de deux vies, la première qui s'acheva à 54 ans, la seconde qui depuis lui succède. Ce 11 mai 2008, il est foudroyé par un AVC. Suivront des mois de rééducation, les parties de cache-cache avec les analystes financiers pour masquer l'ampleur de la dégradation physique et particulièrement verbale, les symptômes d'anosognosie, ce syndrome caractéristique des amnésiques tout entier dans leur reconstruction et que manifeste la capacité, consciente ou non, de faire illusion et de dissimuler la réalité de son état, l'éviction brutale, un dimanche après-midi, prononcée par un conseil de surveillance qui le prévient de sa décision deux heures plus tôt. Et puis le long redressement, la lente résurrection à l'issue desquels l'ancien dirigeant de Saint Gobain et président d'Airbus et aujourd'hui vice-président du conseil d'administration de Safran et administrateur de Crédit Agricole, est redevenu un décideur. Mais un autre décideur, parce qu'il est désormais un autre homme.

Enseignements universels

Les enseignements que Christian Streiff a extraits de son expérience sont considérables une fois projetés sur ce qui compose, fondamentalement, l'exercice de patron. Et ils sont universels. Qu'a-t-il découvert au fond de lui-même ou de quoi a-t-il véritablement pris conscience depuis son drame qui questionne ses responsabilités de décideur ? En premier lieu que l'on n'est pas tout puissant, dominateur, maître des situations, invulnérable proportionnellement à l'envergure du statut ou des responsabilités. L'aide, capitale dans sa reconstruction, que médecins et orthophonistes lui ont prodiguée, a interrogé le sens de l'autre, la contribution de l'autre, l'utilité de l'autre, mais aussi la fragilité ou la souffrance de l'autre. Il a aussi saisi que l'œuvre commune de l'entreprise résulte d'une chaîne de collaborations à la qualité, l'investissement, la foi desquelles l'action du « big boss » est assujettie.

Faux semblants

Le monde de la grande réussite professionnelle est aussi celui des faux semblants et des faux amis, des duperies et des opportunismes, et ce cénacle donne l'illusion que l'on est considéré voire sacralisé pour ce que l'on est intrinsèquement alors que cette reconnaissance est en premier lieu indexée sur la responsabilité, l'influence, et surtout le pouvoir que l'on détient ou accomplit. L'échec, la défaillance, l'incertitude, l'écroulement, tous ces items que l'exigence de performance économique et financière abomine, dorénavant ne sont plus tabous. Le devoir d'essayer d'être en cohérence, c'est-à-dire de cultiver le courage, la détermination, les convictions grâce auxquelles les discours et les actes se superposent et ainsi entraînent les autres dans une dynamique partagée, occupe une place encore plus importante dans sa hiérarchie des priorités.

Temps renouvelé

Bien sûr aussi sa relation au temps est bouleversée, ses conceptions d'avant et d'après du temps utile ou pauvre, sincère ou vain, trompeur ou vrai, ont radicalement évolué. Et dans le sillage de ce chamboulement, qui réinterroge les temps long et immédiat, égoïste et bienveillant, matérialiste et altruiste, sont, là aussi, remuées, secouées, tourneboulées toutes ses certitudes sur ce qui compose l'indispensable et le futile, l'essentiel et l'accessoire. Dès lors, le « bonheur d'être » n'est plus seulement dans l'accumulation, l'ubiquité, la frénésie, la boulimie, le rayonnement, la reconnaissance, il apparaît « aussi » dans le silence et la simplicité, dans l'attente et la soumission, dans l'observation et l'accompagnement, dans ce que l'anthropologue Françoise Héritier dénomme dans son merveilleux essai éponyme « le sel de la vie », c'est-à-dire le plaisir.

Cultiver le plaisir

Le plaisir égotiste et généreux, le plaisir des choses modestes où sont nichées les plus grandes joies, le plaisir de lire et de boire, de rire et de manger, de marcher et de regarder, d'humer et d'écouter, d'être seul ou entre amis, au cinéma ou au bistrot, sur un voilier ou un chemin. Le plaisir d'être seul avec soi-même, au plus profond de soi-même, dans un soi-même parfois inquiétant voire déstabilisant, afin, simultanément, d'être davantage disposé aux autres, vers les autres, auprès des autres. De partager.

Un autre rôle parmi les hommes

« Ma vie s'est ouverte. Mon rôle parmi les Hommes n'est plus le même », confie celui qui désormais investit et s'investit en priorité auprès de jeunes entrepreneurs. Cette « leçon de vie » personnelle a déplacé nombre de curseurs sur sa trajectoire professionnelle. Fort de ces interrogations qui l'ont transformé parce qu'elles ont métamorphosé le sens même de son existence, Christian Streiff exerce ses responsabilités autrement. Pour seul exemple, le temps préparatoire, celui qui précède la prise de décision, celui qui est utile pour expliquer, mobiliser et entraîner, hier était négligé voire traqué, aujourd'hui lui apparaît extrêmement précieux.

Point d'angélisme

Pour autant, ne versons pas dans l'angélisme. Tout de ces enseignements n'est pas transposable. Les contingences, les pressions, les injonctions, les exigences consubstantielles à la direction de grandes mais aussi de petites entreprises obligent quotidiennement au compromis, et plus sûrement aux renoncements et aux paradoxes. Christian Streiff le confie lui-même : être aux commandes d'une entreprise du CAC 40, c'est sillonner la planète chaque semaine, c'est consacrer jusqu'à deux mois par an aux enjeux imposés par les marchés financiers, c'est se soumettre à des aléas et à des contraintes qui laissent guère de place à tout ce substrat personnel, cette matière hédoniste, humaine, intellectuelle, émotionnelle qui permettrait pourtant d'enrichir et d'embellir l'exercice des plus hautes fonctions.

L'inaccessible étoile

Donner et rendre forme l'axe cardinal de sa nouvelle vie professionnelle, mais qui dont donc peut croire qu'il aurait pu en être de même aux commandes d'une entreprise de 200 000 salariés en proie aux difficultés qu'on lui connait ? Pour autant, rien n'est plus utile que l'utopie, rien n'est plus précieux que de regarder l'inaccessible étoile chère à Jacques Brel, pour, même modestement, être en progrès dans son cheminement de dirigeant. C'est déjà beaucoup. « Être un grand patron ne signifie pas être un grand homme », a constaté Christian Streiff. Mais nul doute que chercher à être un homme « meilleur » permet d'être un meilleur patron.

"Christian Streiff : la leçon de vie d'un patron miraculé", le 3 décembre à l'Université Jean Moulin Lyon 3

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Commentaire 1
à écrit le 03/12/2014 à 17:44
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Bonsoir, je suis retenue à l'extérieur de Lyon et ne pourrai donc pas venir assister à la conférence de Monsieur Christian Streiff...ce que je regrette vivement. Pouvez-vous me dire si un enregistrement video va être effectué et si tel est le cas, p...

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