« L'Homme n'a pas le choix : il doit se réconcilier avec la nature »

Cette exhortation de Gilles Bœuf synthétise l'état de santé des « vivants » - humain, animal, végétal - qui composent la biodiversité. Est-elle compatible avec les particularités « déshumanisantes » d'une espèce humaine « arrogante » et maladivement confiante dans le progrès technologique ? L'océanographe en débattra avec le philosophe Patrick Viveret et l'économiste Roger Guesnerie le 24 novembre à l'Isara. Objectif : dépasser le diagnostic mortifère et explorer les raisons concrètes d'espérer et de croire au sursaut.

« Terre, t'aimons-nous ? ». Cette question peut sembler saugrenue, et d'ailleurs est-il bien normal de la formuler ? Pourtant, le diagnostic que la communauté scientifique pose sur la santé de la planète et de sa biodiversité - composée des « vivants » humain, végétal, animal - est sans appel. Une santé dont les causes de la détérioration ne sont pas endogènes et au contraire résultent du seul travail, de la seule pugnacité, de la seule hargne de l'Homme. Ici, travail, pugnacité, hargne sont drapés d'un sens tout particulier : celui de la vanité et du mercantilisme, de l'arrogance et du consumérisme, de l'égoïsme et de la rapacité, de l'utilitarisme et de l'inconsistance. Sombre énumération qu'on pourrait circonscrire à un seul vocable : bêtise. Oui, comme s'en émeut le président du Muséum d'histoire naturelle de Paris Gilles Bœuf, comment l'espèce humaine peut-elle être à ce point « stupide » pour anéantir ce qui assure non seulement sa nourriture et ses revenus, mais tout simplement son existence ? Comment fonctionne-t-elle au fond d'elle-même, comment s'est-elle organisée collectivement pour ainsi préparer méthodiquement son suicide, hypothéquer l'avenir de ses descendances ? « Ruiner son âme » ?

Le progrès en question

Cette déliquescence a des origines très lointaines. Elles remontent au moment où l'Homme décide de déporter sa hargne, employée alors à survivre, vers un autre dessein. Celui de combattre, de dominer, de dompter. De domestiquer tout ce qui fait obstacle à son appétit de pouvoir, de règne, de puissance. Mais aussi de progrès. Or le progrès n'est vertueux que lorsqu'il est associé à un sens et à une justification. Idéalement l'un et l'autre sont humanistes, généreux, altruistes, mais ce n'est pas toujours la réalité. Loin s'en faut. Comme l'atteste la propagation des idéologies scientiste et post-humaniste, par la faute desquelles des scientifiques font de l'Homme non plus la finalité bienveillante de leurs investigations mais l'objet d'un progrès technologique incontrôlé au plan éthique. Et le paroxysme est survenu à la conjonction de trois phénomènes : l'immédiateté s'est imposée au temps long, la double tyrannie de la marchandisation et de la cupidité a innervé les consciences et dicté la quasi-totalité des raisonnements, enfin l'Homme a jugé ses prouesses techniques et sa maîtrise technologique suffisamment puissantes pour espérer juguler les dégâts environnementaux, sociaux, sociétaux qu'il commet. « La technologie va nous sauver de tout », pense-t-on communément. Or cette fallacieuse considération obstrue notre lucidité et nous plonge dans une cécité propice à l'indicible. « Dès que l'on se croit supérieur, on se met en danger », prévenait Darwin.

Anachronisme délétère

Cette distorsion des temps met en lutte ceux qui explorent le temps long - scientifiques, paléontologues, anthropologues, philosophes, historiens - et ceux à qui est réclamée la résolution quasi immédiate des problèmes. Ceux-là sont décideurs politiques mais aussi économistes. Est-il possible d'imaginer des modèles économiques qui rendent compatibles les situations civilisationnelle et environnementale, c'est-à-dire l'humain ultraconsommateur, ultraimpatient, ultraconquérant, ultrainfatué et l'urgence de sauvegarder l'ensemble du vivant ?

Une fois agglomérés, court-termisme et égoïsme ont de particulièrement dangereux qu'ils entravent toute conscientisation de l'enjeu de la biodiversité, ils dissuadent de saisir l'étendue des dégâts irréversibles de nos actes à long terme, ceux qui continueront de se propager au-delà de notre disparition. Pour preuve, l'échec presque systématique des grandes conférences mondiales censées interrompre la détérioration climatique, et l'impossibilité d'établir, en la matière, une gouvernance internationale qui s'impose à la formidable hétérogénéité des situations économiques et sociales. D'ailleurs, qui croit encore que la prochaine Conférence sur le climat à Paris en 2015 sera celle de l'aggiornamento ?

Continuer d'espérer

« L'Homme n'a pas d'autre choix que de se réconcilier avec la nature », estime Gilles Boeuf. Avec la nature, mais aussi avec lui-même. « Soyons clairs, nous allons souffrir ». Toutefois, l'océanographe garde espoir. Et il est encore temps. Cet espoir n'est pas entre les mains de la classe politique et des dirigeants nationaux ou internationaux, asservis à la logique marchande, emprisonnés dans leur sectarisme et leur malthusianisme à l'instar du mouvement écologiste, ou simplement contraints d'appliquer des solutions à la crise de croissance néfastes pour la biodiversité. L'espoir est conditionné à un sursaut citoyen. L'espoir réside dans une partie de la jeunesse moins inféodée au diktat matérialiste, capable de se libérer de certains jougs, d'être indocile, de se dresser, d'être audacieuse, et de regarder différemment l'avenir. Il réside dans la disposition naturelle des femmes à concevoir autrement la vie. Il réside dans l'obsession d'innover et d'être subversif, dans l'emploi des nouvelles formes de collaboration auxquelles, en l'occurrence, les progrès technologiques et notamment l'irruption des réseaux sociaux peuvent servir de support.

L'utopie de Pierre Rabhi

L'espoir réside aussi dans l'application de modèles économiques qui font la démonstration que sanctuariser la biodiversité non seulement peut ne pas affaiblir la performance des entreprises mais surtout peut la dynamiser. Ce qui implique de dépasser les tabous et, à l'instar des OGM ou du gaz de schiste, de regarder opportunités et expérimentations sans dogmatisme. L'espoir, enfin, réside dans l'appétence de ceux qui, comme l'illustre si lumineusement l'agroécologue et humaniste Pierre Rabhi, puisent dans leurs ressources spirituelles, dans leur appréhension altruiste du sens et de la responsabilité, et dans un insubmersible « respect », matière à construire autrement leur existence afin de l'assujettir avec douceur aux propriétés de la planète. Bien sûr, tout le monde n'est pas Pierre Rabhi et d'ailleurs sa parole et son utopie ne sont pas infaillibles et ne peuvent pas être universelles. Toutefois elles possèdent une vertu : celle d'inviter à réfléchir à nous-mêmes, à nous « ré-entendre avec nous-mêmes et avec la nature ».

Clairvoyant Groucho Marx

« Pourquoi me soucier des générations futures ? Ont-elles fait quelque chose pour moi ? ». Cette citation de Groucho Marx, l'économiste Roger Guesnerie la traduit ainsi en langage économique : « Pourquoi me sacrifier pour des générations futures qui seront nettement plus riches que moi ? ». Cette croyance d'un enrichissement éternel vacille désormais. Cette certitude n'est plus. Et il faut la combattre. Les stigmates du dérèglement climatique sont désormais indiscutables. Fort heureusement, peut-on ajouter. Des dirigeants de Coca-Cola à ceux de Nike, de l'ancien patron de Goldman Sachs Henry Paulson à Michael Bloomberg, les icônes les plus emblématiques du libéralisme et de l'expansionnisme débridés dorénavant saisissent concrètement les répercussions économiques et financières des désordres qu'ils provoquent. L'espoir est peut-être là aussi.        
Bien sûr, cette terre, nous tous l'aimons. Il s'agit simplement de savoir l'aimer. Et de lui montrer des preuves d'amour. « Pour vivre, l'espèce humaine a fondamentalement besoin d'espérer, rappelle le paléoanthropologue Pascal Picq. Ce qui lui manque aujourd'hui, c'est un projet qui la dépasse, qui dessine une perspective, qui enthousiasme l'avenir. Mais surtout ne désespérons pas ». Vivre en harmonie avec le vivant ne constituerait-il pas un sacré beau projet ?

Planète : l'aime-ton encore? Conférence le 24 novembre à 18h

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Commentaire 1
à écrit le 24/11/2014 à 9:14
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HEUREUX LES UTOPISTES ?IL NOUS MONTRENT LA VOIE DE LA SAGESSE// NOUS VENONS DE LA TERRE// NOUS NOUS NOURISSONS DE LA TERRE// EST NOUS RETOURNERON A LA TERRE// ALORS RESPECTONS LA???

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