Confiance, quand on te tient...

Chacun le sait : la confiance constitue l'un des éléments les plus fondamentaux de la construction. Construction de l'individu mais aussi de toute collectivité - société, entreprise, etc. D'où provient le sentiment que ce ciment n'a jamais été à ce point lézardé ? Monique Dagnaud, Jean-Louis Etienne et Roland Tchenio confrontent leurs expériences et leurs enseignements à l'IDRAC Lyon, le 20 novembre à 18 heures. Une sociologue, un médecin-explorateur et un chef d'entreprise (Toupargel) pour aider à réenchanter la confiance.

Existe-t-il clé d'épanouissement personnel et d'intégration dans le monde professionnel plus majeure, plus déterminante que la confiance ? Confiance en soi, bien sûr. Mais aussi confiance aux autres, la première et la seconde étant indivisibles.  Cette confiance, innée et/ou acquise, une littérature considérable, aussi bien sociologique qu'économique, démontre qu'elle constitue l'un des facteurs décisifs de performance des entreprises et, au-delà, des nations. Nombre d'études rapportent qu'elle forme le socle du « capital humain » ou « capital social », ce capital immatériel représentant par exemple jusqu'à 80% de la valeur des 600 plus grandes capitalisations boursières en Europe (source Ernst & Young) ou 85% de la richesse nationale des Etats-Unis (source Banque mondiale). Et une somme tout aussi conséquente de travaux constate qu'en France cette même confiance est malmenée, agressée, érodée. Même en panne.

Un système pédagogique coupable

L'origine et les causes de ce délitement sont plurielles, elles prennent racine, on le sait, dans une culture de la pédagogie qui, dès l'école primaire, a priori ne fait guère confiance et ne donne guère confiance. Des systèmes de notation aux commentaires volontiers discréditants et démobilisateurs, des mécanismes qui développent dès le plus jeune âge l'esprit de compétition et la hiérarchisation des potentiels intellectuels et donc condamnent les moins armés, les supports pédagogiques n'exhortent pas à faire prospérer un « capital confiance ». A cet égard, le mathématicien Cédric Villani rapportait il y a quelques mois l'expérience scolaire que ses deux jeunes garçons vivaient en Californie, pendant que lui enseignait les formules les plus absconses aux étudiants de Berkeley. En résumé : un niveau au plan strictement des connaissances plus faible qu'en France, mais une formidable dynamique de confiance grâce à laquelle, notamment, toute incompréhension, tout échec, toute tentation de renoncement étaient métamorphosés en contre-attaque, en rebond, et donc en plaisir d'apprendre.

Les parents transmettent leurs peurs

L'Education nationale n'est bien sûr pas seule coupable, et c'est en premier lieu au sein de la famille que sont ensemencées les conditions de la confiance. Une famille dont les tuteurs, c'est-à-dire les parents, inoculent naturellement dans la conscience, les raisonnements, les comportements de leurs enfants leur propre relation à la confiance. Une confiance que rongent la peur d'échouer et la précarisation croissante, une confiance qu'infectent l'illisibilité d'un grand nombre de repères et les contingences de toutes sortes, une confiance que lézardent la pression statutaire ou le diktat exponentiel de la virtualité et de l'instantanéité. Une peur, une précarisation, une déstabilisation qu'ils éprouvent pour eux-mêmes et simultanément redoutent pour leurs rejetons. Rien n'est plus poreux que la confiance, rien n'est plus contagieux que la méfiance et, pire, que la défiance.

Sentiment de désaffiliation

Ecole, famille. Et entreprise, bien sûr. Là aussi, le défi de la confiance est immense. La plupart des obstacles à son application empruntent les mêmes méandres que ceux observés à l'école ou dans le foyer, avec en premier lieu une exigence de « réussir vite » qui place l'individu dans un corset particulier. L'histoire récente des entreprises, l'auscultation des relations sociales et des modèles managériaux au sein desdites entreprises, dans un contexte de mondialisation qui bouleverse les codes traditionnels, illustrent, elles aussi, la crise de confiance. L'entreprise patrimoniale, paternaliste, stable, maîtrisée et de proximité a vécu : s'y est substituée l'entreprise internationale, mobile, agile, soumise à de nouvelles règles ou dictatures - hyperréactivité, finance, instantanéité des résultats, parfois illisibilité des lieux de décision et irrationalité des stratégies - dans le sillage desquelles grandissent les sentiments d'infidélité et de déshumanisation, mais aussi de désaffiliation et, concomitamment, de « trahison ».

Les PME suscitent la confiance

Oh, bien sûr, ce grand écart est aussi radical et grossier que non représentatif d'une réalité bien plus nuancée, bien davantage équilibrée comme le prouve le comportement de centaines de milliers d'entrepreneurs et patrons de TPE, PME et même ETI. D'ailleurs, dans une enquête Le Monde/Cevipof/Fondation Jean Jaurès/France Inter sur les « fractures françaises » publiée le 8 janvier 2014, laquelle des 17 institutions énumérées trônait en tête de celles en lesquelles les Français avaient le plus confiance ? Les PME. Il n'empêche, la crise que traversent les entreprises est aussi une crise de confiance. Crise de confiance endogène, mais aussi exogène.

L'offre politique concentre la défiance

En effet, quel que soit le cas retenu - l'enfant à l'école, l'adolescent dans la famille, le jeune diplômé dans l'entreprise -, ce qui conditionne le climat de confiance répond d'une part à l'application des droits et des devoirs entre les différentes parties prenantes, d'autre part à l'exemplarité dont doit faire preuve celui qui figure au sommet de la hiérarchie ou de la pyramide décisionnelles. Cette pyramide s'applique à la famille et à l'entreprise, elle s'applique aussi, bien sûr, à l'Etat, aux pouvoirs publics, et à l'aréopage politique. Un cénacle politique qui, dans cette même enquête, occupe la dernière place du classement avec 92% d'opinions défavorables. Comment se sentir en confiance et se mettre en confiance lorsque l'ossature censée ramifier la confiance auprès des individus et surtout ses relais et supports de confiance - l'école, la famille, l'entreprise - fait à ce point l'objet d'une défiance ?

Réciprocité

L'anthropologue Marcel Maus, dan son Essai sur le don publié en 1925, considérait que la confiance ne pouvait naître que d'un don effectué sans garantie de réciprocité par des ennemis qui désirent basculer de la guerre à la paix. Un don effectué sans garantie de réciprocité : oui, comme le rappelle le sociologue Alain Caillé, le don est un pari de confiance, la confiance résulte de l'application de la triple obligation de donner, recevoir, rendre qui se substitue à celle, inverse, du prendre, refuser, garder. A cette condition, la confiance irrigue créativité et plaisir, engagement et partage. Toute organisation sociale, politique, économique, tout simplement humaine, peut alors tirer la quintessence de la confiance. Oui, c'est le don qui en premier lieu cimente la confiance.

« Risquons le regard de la confiance »

Et c'est à ce défi du don et donc de la gratuité du geste que sont exposés l'individu dans son individualité et la société dans son ensemble, à la fois pour donner consistance et humanité à l'instant présent mais surtout pour dessiner un avenir enthousiasmant. Un défi considérable dans une civilisation profondément chiffrée, marchande, utilitariste, matérialiste, mercantile. Et une civilisation dont les principales institutions, entreprises comprises, n'encouragent pas l'exercice d'un autre facteur déterminant de la confiance : le risque. Le risque d'oser, de tenter, de réussir et d'échouer. « Risquons un autre regard, celui de la confiance ». Voilà d'ailleurs à quoi Bernard Devert, fondateur d'Habitat et Humanisme invite, dans le prochain n° d'Acteurs de l'économie (sortie le 27 novembre). Sommes-nous capables de promouvoir le don et le risque ? Les expériences et les convictions croisées d'une sociologue, d'un médecin-explorateur et d'un chef d'entreprise aussi éclairés que Monique Dagnaud, Jean-Louis Etienne et Roland Tchenio, devraient fournir quelques précieux enseignements.

Conférence : "Confiance tout à faire? "le 20 novembre à 18h

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